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Et n'est-ce point encore une lettre de la même série dont Louis
Perrin s'est servi dans plusieurs de ses impressions ? (fig. 12). Il
faut une attention fort minutieuse pour distinguer les dissemblances
qui l'éloignent de la civilité de Fournier.
En somme et tout bien considéré, l'entreprise de Robert Granjon
ne fut point une invention géniale. Sans aucun doute, sa lettre française,
pittoresque, accidentée, ne manque ni d'élégance ni d'imprévu ; il y a
là , comme dans les italiques de Garamond, des ligatures, des rondeurs
d'une grâce infinie ; mais si, parce qu'elle imitait dans la perfection la
cursive manuscrite de son époque, cette lettre plut et fit rapide fortune
dans le siècle de François I er , nous n'avons peut-être pas, nous fils du
xixe siècle, d'aussi bonnes raisons pour nous en féliciter. La civilité n'est
pas lisible, rien ne sert de le nier ; elle l'est si peu que les typos qui la
distribuaient dans leurs casses commettaient en le faisant de fréquentes
erreurs ; témoins ces deux spécimens, l'un de 1755 (fig. 11) l'autre de
1766 (fig. 10), dans lesquels la lettre E est prise ici pour un M, là pour un
C et le C pour un E.
Certes, nous ne voulons pas du tout insinuer que les fondeurs de
lettres des périodes révolues eussent dû enrichir chacune de ces époques
d'un caractère d'imprimerie qui ressemblât à la cursive manuscrite en
usage à ce moment, non : tels essais ont été faits dont le succès fut pour le
moins fort douteux ; la lamentable anglaise de Firmin Didot, qui lui coûta
tant et tant de peine, en témoigne éloquemment ; encore que l'anglaise,
inesthétique et ridicule, a, aujourd'hui encore, une raison d'être que
la civilité n'a plus.
Pourtant, on emploie cette lettre de temps à autre, à Paris ; on en
parle encore quelquefois ; même parmi les techniciens et les initiés,
bien peu savent exactement de quoi il s'agit ; nous avons entendu
des libraires prétendument très avertis de leur métier, ces gens dont les
avis sont obstinément goûtés dans les petits cénacles de bibliophiles,