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UN FUSIL QUI A PEUR 131
En cherchant mon officier, nous trouvâmes nos cama-
rades du é5 mc de marche, mobiles du Rhône aussi, qui
. échangeaient force balles avec l'ennemi. Je les vois encore
sous les projectiles sifflants : les uns agenouillés derrière un
pan de mur, d'autres appuyés contre un tronc d'arbre ou
allongés sur quelques mottes de terre, rampant dans un
fossé, tranquilles, calmes, d'un sang-froid sans pareil ; ils
chargeaient leur fusil, épaulaient, ajustaient, visaient
longtemps, patiemment, tiraient, puis recommençaient;
ces rudes soldats, la plupart vignerons de l'arrondissement
de Villefranche ou cultivateurs des cantons ruraux de l'ar-
rondissement de Lyon, faisaient le coup de feu comme à la
cible sur le champ de manœuvre, aussi posément que s'ils
avaient été à l'affût au coin d'un bois, derrière un buisson,
dans l'attente du passage d'un lièvre; oh! ils ne tremblaient
pas nos camarades du Beaujolais et des environs de Tarare
et du Bois-d'Oingt ; tous leurs coups portaient et les Alle-
mands qu'ils choisissaient du bout de leur fusil à tabatière,
s'abattaient toujours sous leurs balles.
A force de demander et de chercher, je finis par rejoindre
mon chef de bataillon. Je lui fis part de ma mission et sa
première réponse fut de m'envoyer promener avec mon
prisonnier, puis, se ravisant, il me dit que l'affaire ne le
regardait plus, que mon prisonnier était porté déserteur et
que, par suite, c'était à la place que je devais le conduire.
Ceci dit, il me tourna le dos pour continuer à suivre les
péripéties du combat.
Plus que jamais mes hommes et moi nous continuâmes
à maudire notre corvée, tout en reprenant le chemin de la
ville, entraînant notre prisonnier qui n'avait pas soufflé mot
depuis les Forges.
Nous rétraversâmes la Savoureuse; mais, à mesure que