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                   LA CHASSE A L'ABONNÉ                    107

d'hui à ce personnage de comédie disant à qui voulait
l'entendre :
   •— Des journaux, à quoi bon en lire ? S'ils sont de votre
opinion, c'est superflu. S'ils n'en sont pas, c'est inutile !
   Ce bonhomme-là ne se faisait assurément aucune idée
du reportage effréné, de l'information à outrance dont notre
époque enfiévrée ne pourrait plus se passer.
   Le Commerce, l'Industrie, la Finance, les Lettres, les
Sciences, les Beaux-Arts, les Religions, les Théâtres, les
professions les plus diverses se partagent les dix-huit cents
autres publications.
   La Diplomatie n'a pas moins de onze journaux spéciaux
à son service ; les Sciences occultes en possèdent autant ;
cinq feuilles se prêtent exclusivement aux innocents ébats
des collectionneurs de timbres-poste et quatre sont entiè-
rement dévouées à ce que Rabelais appelait « la Science de
gueule » et à ce que nous appelons avec plus de retenue
« l'Art culinaire. »
   Vingt-six s'occupent de musique, •— c'est beaucoup ! —
cent quarante-cinq s'occupent de notre santé, — c'est trop !...
   Une jolie trouvaille au moment où notrç belle langue
française est si odieusement maltraitée : l'Industrie des
cuirs en fait vivre quatre !
   A signaler également dans cette nomenclature laborieuse
trois journaux prônant le mariage ; deux s'épanouissant
sur les naissances et un seul s'apitoyant sur les décès.
    Ce dernier, organe attitré des pompes funèbres, ouvre
largement ses colonnes aux articles nécrologiques, il spécule
sur la reconnaissance des héritiers satisfaits ; inutile
d'ajouter que son tirage est des plus restreints.
   Tout journal qui se crée, aspire à vivre; pour vivre il
lui faut nécessairement des abonnés ou des lecteurs.