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74 UN PRÉCURSEUR DK LA PL)':IADH gne ni ne m'en étonne. Il n'y à pas en français de vers plus obscurs ou plus ténébreux que ceux de Maurice Scève ; et, j'en conviens d'abord, il n'y a pas de poème plus inintel- ligible que sa Délie. Si je cédais à la tentation de vous en lire quelques dizains avant de vous y voir convenablement préparés, je vous mettrais en fuite : L'humidité, hydrauh de mes yeux, Vide toujours par l'impie en l'oblique, L'y attrayant, pour air des vides lieux, Ces miens soupirs qu'à suivre elle s'applique... Non, en vérité, vous n'y tiendriez pas, ni moi non plus, peut-être ! et j'aurais achevé ma lecture avant de l'avoir commencée. J'en serais inconsolable. Car il n'est pas question de surfaire mon poète, et, vous le voyez, on ne peut vraiment pas dire que j'engage personne à le lire. Mais enfin, — comme tant d'autres poètes, et de prosateurs aussi, qu'on a bien raison de ne plus lire, mais qui furent en leur temps les maîtres ou les précurseurs de ceux qu'on lit encore, — son personnage a mieux valu que son œuvre; et il a dans l'histoire de notre poésie l'importance de ce que l'on appelle un « type de transition ». Cette importance est considé- rable si, dans l'histoire de la littérature ou de l'art, comme dans la nature même, c'est aux « types de transition » qu'il nous faut demander le secret de la variabilité des espèces, de l'évolution des genres, et du progrès de l'art. Les « types de transition » ne sont rien en un certain sens, puisqu'ils n'ont d'autre utilité que de se rendre eux- mêmes inutiles ; ils travaillent, pour ainsi parler, à leur propre élimination. Mais, en un autre sens, ne peut-on pas