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'68 HENRI HIGNARD Tu m'avaisbien promis, mon ami, de ne pas laisser languir notre correspondance comme elle a fait l'année passée. Si mes lettres te font plaisir, tu dois sentir que les tiennes ne me sont pas indifférentes. Ce m'est une bien douce joie de retrouver à 120 lieues de distance, cette bonne et franche causerie dont ces vacances je n'ai pas assez pu jouir. C'est une joie d'autant plus douce qu'il n'y a pas là un simple amusement de l'esprit, comme quand nous lisons un livre agréable, mais la satisfaction d'un des besoins les plus impé- rieux de mon cœur, celui d'affection, et en particulier del'ami- tié de mon frère. Non seulement tes lettres me plaisent, mais encore, comme elles m'apprennent ce qui t'intéresse et que ce qui t'intéresse est pour moi de la plus haute importance, elles me font un bien infini. Rien ne me fatigue autant que de ne pas savoir où tu en es, et cette fatigue intérieure, cette véritable souffrance, tes lettres seules peuvent la dissiper. Du reste, il me semble que tes lettres doivent t'être bonnes à toi-même, à un âge où l'esprit est traversé par tant de sentiments divers, par tant de pensées nouvelles, tu dois avoir besoin quelquefois de décharger dans un cœur ami le trop plein de mon cœur. Or, des amis, tu peux en trouver sans doute, et bon comme tu l'es, tu en trouveras; mais en trouveras-tu de plus dignes que moi de ces confidences de ton amitié ? En trouveras-tu qui aient plus d'intérêt aies écouter et à les entendre ? Crois-moi, Joannès, beaucoup des gens te parleront un langage plus doux, plus agréable, plus flatteur, mais personne jamais ne t'aimera plus que moi; personne ne te sera plus sincèrement ni plus sérieu- sement attaché. Oui, sérieusement, comprends-tu en effet une amitié qui ne serait pas sérieuse ? L'amitié est-elle réelle, s'il n'y a pas entre les deux âmes qu'elle unit quelque chose de vérita-