page suivante »
6o HENRI HIGXARD Tu me parles, mon ami, de la monotonie de ta vie. Cela me rappelle une conversation que j'avais ces vacances avec M. de La Perrière, notre président. Je lui demandais si l'état d'avocat était bien agréable : « Hélas ! fit-il avec un gros soupir, et le métier de professeur? » me demanda-t-il. « Hélas ! » repris-je avec un soupir plus gros encore. Voilà , mon ami, où en sont tous les hommes. Nous n'avons pas été mis sur la terre pour y avoir du plaisir, et il faut bien nous résigner à cette condition. M. de La Perrière ajoutait : « Quand on prend un état quel qu'il soit, il faut s'attendre à ce qu'on y trouvera bien des ennuis, et ceux qui paraissent en avoir le moins en sont peut-être les plus chargés. » Mais comme nous devons gagner notre pain à la sueur de notre front, il ne nous est pas permis de rester oisifs ; il faut prendre un état sans se dissimuler ses incon- vénients ; demander à Dieu la grâce de les supporter avec courage, et lorsqu'on se sent sur le point de faiblir, se rap- peler que le prix est pour ceux qui auront persévéré jusqu'au bout. Copier des lettres est sans doute une occupation bien matérielle, mais dans tout état n'y a-t-il pas une partie qui n'est réellement qu'un métier? Le professeur répète pendant trente ans la même chose aux élèves qui se succèdent dans sa classe ; il le répète quoiqu'il le sache par cœur, qu'il en soit rassasié et dégoûté. L'avocat est obligé de s'ennuyer dans les discours de la chicane, à compiler des témoignages incertains, et, malheureusement, le professeur et l'avocat sont obligés de donner à ce travail ennuyeux toute leur application. Toi, au contraire, en copiant tes lettres, tu peux penser à bien des choses ; et puis cela changera dans quelque temps, tandis que pour eux rien ne change. Enfin, songe que M. Delphin l'aîné, qui a vingt un ans, et qui a fini toutes ses études avec de grands succès, copie des