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                  LE SONGE D'UNE NUIT D'HIVER                505

 pour se défendre du froid ; il avait une répugnance invin-
 cible à se remettre au lit, comme s'il avait craint de ne plus
 se relever.
    A mesure qu'il se réchauffait il se remit à songer.
    Pourquoi ai-je brûlé le vieil amour aujourd'hui, plutôt
 qu'un autre jour? Qu'est-ce qui se passe dans le monde
 invisible qui nous entoure ?
    Pourquoi ce trouble qui m'agite, comme si j'avais heurté
 d'une manière grossière une de ces fibres inconnues du
 monde, qui établissent entre les vivants et les morts de
 mystérieuses communications, et dont parfois les manifes-
tations inattendues déroutent les plus sceptiques?
    Où sont les âmes? Et qu'est-ce que l'âme? Nous appe-
lons ainsi le prolongement de la vie humaine dans l'in-
connu. Je me suis longtemps demandé si ce n'était pas une
conception idéale ? Mais je ne puis me faire à la pensée que
ma Lisbeth soit rentrée dans le néant comme les chiffons
de papier où étaient figurés nos sentiments, et même que
l'autre Lisbeth n'ait pas retrouvé ailleurs le pauvre camarade
que sa mort a rendu fou.
    Comment est fait cet autre monde dont l'existence ressort
si clairement des mystères sans nombre de celui-ci ? O ma
chérie, toi qui l'habites, ne pourrais-tu m'en faire passer une
lueur, une impression, si petite soit-elle, pour calmer la
fièvre de savoir, ou plutôt d'impuissance à savoir, qui nous
dévore, pour apaiser la soif de bonheur — vain mirage
sans doute — qui séduira peut-être toujours la pauvre
humanité ? Tout esprit un peu éveillé, qui veut savoir la
raison des choses, se noie dans un océan d'interrogations.
Nous sommes aussi ignorants à l'égard du visible et de
l'invisible où nous vivons, que le poisson Test à l'égard de
l'eau qui le porte et le nourrit. Mais lui, du moins, à ce que.
   N" 6. — Décembre 1893.                               28