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EUGÈNE LE MOUEL 321 les impressions charmantes que m'a procurées la lecture des vers de M. Le Mouël! C'est qu'en effet, il est des sujets d'une si délicate complexion, qu'on affaiblit et qu'on dimi- nue leur intensité, pour peu'qu'on tente d'appeler l'attention sur eux, d'insister sur leur suave beauté. Lisez : Soir de Noce, la Veuve et dites-moi s'il est possible, avec une aussi com- plète absence de procédés littéraires, de mieux dépeindre la vie simple, l'honnêteté, les vertus et les sentiments des pauvres gens ? Le recueil si remarquable des Chants populaires de la Bretagne (3) recueillis par M. de la Villemarqué, ne con- tient pas, à mon avis, de plus jolies pages. Qu'on en juge : Vous savez bien Janik, le petit garçon frêle, Avec des cheveux blonds comme le chanvre sec, Dont l'œil était inquiet, et qui, de sa voix grêle, Chantait en conduisant l'aveugle Thégonnec. Il est mort des mauvaises fièvres, Et, sous les pervenches, ses lèvres Conservent un rictus amer! Car le petit Janik avait peur de la mer. L'aveugle, qui jamais n'avait vu les nuages, Ni les soleils cuivrés des horizons sanglants, S'en allait sur la grève humer l'air des rivages Et bercer son oreille aux chansons des flots lents. Les ouragans étaient ses fêtes... Mais il sentait, par les tempêtes, Frissonner la main de l'enfant. Car le petit Janik avait peur du grand vent. (3) Paris. Didier.