page suivante »
CHARLES BAUDELAIRE A peine les ont-ils déposés sur des planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid ! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait ! Le poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer ; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. C'est l'image du génie qui plane dans les espaces, et qui est gêné dans la vie vulgaire précisément par l'excès de sa force. Le jeune poète y voyait sans doute son image à lui- même. Rêvant la gloire, et se jugeant de taille à la conqué- rir, mais rejeté de sa famille, il souffrait de son abandon, de sa pauvreté, et n'était guère fait pour marcher pédes- trement à travers les obstacles comme le commun des hommes. Le petit héritage paternel qu'il avait recueilli à son retour d'Orient en faisant valoir les droits de sa majorité, avait été assez vite dissipé, et la colère persistante de son beau-père lui refusait tout subside. M. Maxime du Camp, qui parle incidemment de Baudelaire dans ses Souvenirs de Jeunesse, raconte une scène dont il a été témoin à Constan- tinople, et qui fait tristement connaître quels étaient alors les ressentiments du général Aupick à l'égard de son beau- fils. M. Maxime du Camp dînait à l'Ambassade; il y trou- vait une lettre d'un de ses amis de Paris qui lui disait avoir rencontré un jeune homme, un certain Baudelaire, qui