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LAMARTINE 329 Béranger (6) ; un instant elle avait cru que Victor Cousin allait lui apporter le verbe qu'elle désirait, et son programme d'une philosophie-spiritualiste toute fondée sur le moi lui avait donné les angoisses de l'espérance, mais le voilà qui passait la frontière et s'engageait à la suite de Kant. C'est alors que Lamartine parut, et offrit à ce monde néo-païen, à mi-chemin d'un sensualisme dont il avait honte et d'un christianisme dont il avait peur, un lieu de repos qui lui parut délicieux, parmi les parfums et les fleurs, au sein d'une sagesse assez élevée pour flatter la partie supérieure de l'âme, assez vague pour ne pas gêner l'autre : comment l'enthousiasme n'aurait-il pas fait explosion ? Toutefois, un triomphe aussi soudain et aussi universel, ou plutôt sa cause véritable, nous avertit de ce qu'il y avait, dans cette belle poésie, de caduc, en même temps que d'immortel, et nous pouvons nous expliquer déjà le 'décri relatif dans lequel est tombé si rapidement Lamartine. Il y avait d'immortel les cris de passion, qui, lorsqu'ils sont sincères, profonds et vrais, trouvent toujours un écho dans le cœur des hommes. Lamartine ne présumait pas trop de lui-même, lorsqu'il s'écriait, superbe : Oui, les siècles auront passé sur ta poussière, Elvire, et tu vivras toujours ! Il y avait de caduc la solution platonicienne du grand problème, la réponse toute philosophique donnée aux (6) a Le coup décisif fut le Dieu des bonnes gens. Un jour que Béranger dînait chez M. Etienne, en nombreuse et spirituelle compagnie, on le pressa au dessert de chanter, selon l'usage ; il commença cette fois d'une voix un peu tremblante, mais l'applaudissement fut immense. » SAINTE-BEUVE, Portraits contemporains, I, p. 103 (édit. de 1869.)