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68 DANS L'ANTIQUITÉ Reste la mise en pratique. Ici commence la réfutation du bon sens contre la théorie, réfutation à la fois burlesque et profonde. Un honnête citoyen, brave homme, mais naïf, observateur empressé de la loi votée, qu'il ne discute pas, à laquelle il croit devoir obéir pleinement et sans retard, un brave homme, dis-je, rassemble sous nos yeux son petit mobilier et l'apporte sur la place publique où le partage doit se faire. Nous le voyons aligner soigneusement, l'un à côté de l'autre, tous ses humbles ustensiles de ménage; son tamis à farine, son réchaud, une casserole, un miroir, et môme un coq, étonné d'être ainsi transporté loin de son fumier ; et encore, une marmite, un rayon de miel (je les cite dans Tordre, qui est plutôt du désordre), puis une fiole à parfum, et enfin divers petits pots. Le propriétaire ne renonce pas à tout cela sans regret ; il nous avoue que ces objets lui sont devenus chers par un long usage. Un voisin passe, et se moque de lui. Celui-là est un habile, qui sait ce que valent les votes des Athéniens. Il en a vu bien d'autres. — « Qu'est-ce que tu fais-là ? Pourquoi déménages-tu ? — Il faut bien obéir à la loi. — Quelle loi ? — Celle qui a été votée ce matin. — Ah ! que tu es bête ! — Mais quoi ? Ne fais-tu pas de même ? — Moi ! Ah ! je m'en garderais bien. Il faut d'abord savoir ce que feront les autres. » Et plus loin : « Ah ! le nigaud ; va, je connais mieux le peuple. Un décret est bientôt voté; mais quand est-ce qu'on l'exécute ? » — Et en effet, ce beau décret de Praxagora, personne ne l'exécute. A l'impossible nul n'est tenu ; il n'y a pas de loi qui puisse prévaloir sur le bon sens de tout le monde, et notamment sur l'instinct de la propriété personnelle, le plus fortement ancré de tous les instincts au cœur de l'homme. Nous avons beaucoup abrégé et omis bien des détails