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37°               NOTES D'UN PROVINCIAL

dans ce grand cadre, et faisant bravement tête aux vicis-
situdes du sort par ce mélange de résignation, de courage
et d'insouciance qui est encore la meilleure de toutes
les philosophies pratiques, qui est en tout cas la seule
qui soit à la portée des humbles. Infortuné petit fifre, et
infortuné de toutes façons, puisqu'il faillit rester à la porte
du Salon de 1866.
   L'Espagnol jouant de la guitare avait été moins malheu-
reux, du moins en peinture. C'était presque le début de
l'auteur (5); il avait été admis et très discuté, ce qui est
tout ce que peut désirer un débutant. Il avait même eu
l'approbation du maître des maîtres en critique d'art.
« Caramba ! s'écriait Théophile Gautier, voilà un guitarero
qui ne vient pas de l'Opéra-Comique, et qui ferait mauvaise
figure sur une lithographie de romance; mais Velasquez le
saluerait d'un petit clignement d'Å“il amical, et Goya lui
descendrait du feu pour allumer son papelito ! Comme il
braille de bon courage en raclant le jambon! » Au milieu
d'accessoires qui semblent insignifiants tant ils sont natu-
rels, mais qui produisent, dans la gamme neutre qu'a choi-
sie l'artiste, une merveilleuse symphonie de couleurs, on a
sous les yeux une sorte de brute ahurie et bornée, qui
chante, qui braille en s'accompagnant. Au rebours de tous
les chanteurs de la peinture et de la sculpture, il est bien
loin de représenter l'inspiration ; sa physionomie est à peine
d'un être civilisé : tout au plus éprouve-t-il de sa mélodie,
qui doit être violente et populaire, une sorte d'entraînement
mécanique et à demi animal. Bref, c'est le mendiant gros-
sier et ignorant, tel qu'il peut s'épanouir en Espagne, la


  (5) En 1861.