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ET LE BARREAU LYONNAIS 1J qu'à l'idée. Plus elle était belle et plus luxueuse était la phrase qui l'ornait, en ne songeant qu'à la servir. Plus elle était haute, plus vibrant était le coup d'aile. Il ne s'écou- tait pas parler; mais il semblait entendre une voix intérieure dont il n'était que le traducteur fidèle; et lorsque, les yeux perdus dans une contemplation mystérieuse, éloigné de ce public dont il oubliait la silencieuse présence, isolé dans sa distraction féconde, il s'entretenait avec lui-même, c'était son rêve qu'on entendait. C'est ainsi que possédé, dominé, obéissant, il s'abandonnait à travers les aventures de l'im- provisation qui jamais ne lui réserva d'humiliants déplai- sirs. On pouvait suivre ce travail visible qui s'accomplissait dans ce large front découvert par ses longs cheveux rejettes en arrière. On le voyait sous les plis droits et tombants de sa toge, balancer sa grande taille mince, comme s'il eut bercé sa pensée. Son oeil bleu, parfois fermé comme dans l'évocation d'un souvenir ou d'un songe entrevu, s'ouvrait tout à coup, large, transparent, ne s'arrêtant pas aux choses, ne reconnaissant personne, mais allant au-delà de tout ce qui l'entourait vers le domaine de l'idée, lisant sans doute je ne sais quel livre invisible que seul il apercevait. Ce qui l'eut fait penser c'était la flamme intense de ce regard fixe qui, prenant l'avance sur tout son être, semblait le précé- der vers un but inconnu qui là -bas l'appelait. Jamais il ne connut cet encouragement muet que donne l'attention soumise de l'auditoire, ce magnétisme que l'on devine, que l'on sent plus qu'on ne le constate, qui sort des yeux curieux de la foule et de toutes parts pénètre l'orateur, le rassure, le flatte, le grise et l'entraîne plus confiant sur la route, où il sait que tous le suivent hale- tants. Jamais non plus il ne subit ce cruel malaise du parleur qui surprend un bâillement mal étouffé, un regard N° i. — Janvier 1888. 2