page suivante »
378 LA BOUCLE D'OR même. Il vaut mieux me l'avouer tout de suite, à moi, sinon » Ici, la nourrice éclata en larmes. Ce qu'elle raconta peut vous sembler plus étrange encore que le reste de l'histoire ; pourtant, le fait n'est point invraisemblable et, plus d'une fois, il a dû se produire sans que rien en ait percé. La petite fille qu'avait emportée la nourrice, chétive et malingre, était morte au bout d'un peu de temps. C'était la seconde fois que notre paysanne avait cette malchance, de perdre un enfant de l'hospice. Partant, plus d'argent à rece- voir à la fin du mois et peu d'espoir que l'administration lui confie un troisième nourrisson. Or, pour certains villages, pauvres et d'accès difficile, où les habitants des villes ne se soucient pas d'envoyer leurs enfants, le nourrissage des pupilles des hospices est une véritable industrie. C'était à une heure avancée du soir. Le mari de la nour- rice, engagé avec plusieurs hommes du hameau pour cou- per du bois dans la montagne, était absent ; ses enfants à elle dormaient. Prise d'une peur superstitieuse en face de ce petit être inanimé, et le cœur gros, elle s'en fut exhaler sa peine chez une voisine qui avait fait avec elle le voyage de Lyon et rapporté, elle aussi, un nourrisson de la Charité. Ladite voisine, jeune et mariée depuis un an seulement, se repentait-elle de s'être chargée d'un pensionnaire de si mince rapport ? Se sentait-elle appelée à devenir mère une seconde fois? Quoi qu'il en soit, en moins d'un quart d'heure, un accord était intervenu : les deux femmes échangeraient leurs nourrissons, et le prix du nourrissage du survivant serait partagé entre elles tous les mois. Chacune trouvait ainsi un profit. D'autre part, se disaient- elles, en toute paix et toute conscience, avec ces enfants du