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LA BOUCLE D'OR 371 naturels. Mais rien n'empêchait que l'enfant fût confié aux époux Bonin, lesquels, à titre de tuteurs officieux, s'enga- geaient à l'élever comme leur et à procéder, en temps voulu, à l'adoption. La nourrice se prêta de bonne grâce à l'arrangement, sur la promesse d'une rente de cent vingt francs qu'elle tou- cherait chaque année, en venant embrasser la petite à Lyon. Elle jura de garder le plus entier silence, et la jeune Garite fut donnée comme une orpheline, nièce de la mar- raine défunte, que celle-ci avait fait élever jusqu'alors et que les Bonin recueillaient. C'est ainsi que la jeune fille, Garite Bonin pour tout le monde, allait accomplir sa dix-huitième année. En réalité, elle n'était qu'un enfant du sexe féminin, trouvé dans le tour de la Charité et inscrit sous le numéro 3,417. Et à l'appui de son dire, le vieux prêtre sort d'un tiroir de son bureau un petit anneau d'or, de ceux que l'administration hospitalière mettait autrefois à l'oreille droite de chacun de ses pupilles, et fait lire à Jean, avec une loupe, le numéro matricule imprimé sur la boucle. « C'est la seule chose au monde qu'elle possède en bien propre, ajoute l'abbé. » Le jeune homme avait écouté, avec une satisfaction visible. Les détails qu'il recueille sont, à son sens, autant de causes d'éloignement pour d'autres prétendants; la famille de M. Julien surtout n'acceptera jamais une telle union, avec toutes ses conséquences. Saisissant la boucle d'oreille, il la baise avec respect et dit, en la rendant : « Cette dot me suffit. — O h ! nenni, riposte le vieillard. Pour ma petite Garite on saura bien faire les choses, et je ne présume pas qu'avec quelques milliers de francs dans son tablier, vous la trouviez moins plaisante. »