Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
[ Revenir aux résultats de la recherche ]
page suivante »
              LE COMPARTIMENT DES FUMEURS                   59




                            * *

   Prétendre que je n'étais nullement troublé et que mon
sommeil ne fut pas hanté de quelques visions, ce serait
me donner ou pour meilleur ou pour pire que je suis.
Toutefois, je dormis d'un bon sommeil — pas si profond
pourtant que je n'entendisse chez mon voisin plusieurs
allées et venues pendant la nuit.
   Vers'le matin, les bruits se firent de l'autre côté du cor-
ridor. La porte de la voisine se rouvrait fréquemment; j'en-
tendais sa voix, celle des garçons et, finalement, celle de
Durel ; il y avait comme des ordres donnés, des réponses
rapportées; puis silence complet. Il devait être à peine,six
heures. Je me levai, et, ma toilette achevée, j'allai frapper
chez mes deux compagnons de voyage. — Personne!
   Je vous laisse à penser si les plus étranges suppositions
traversèrent mon esprit : ils étaient partis ensemble, elle,
riant de mes bourgeoises façons, et Durel, se gaudissant
d'être enfin dépêtré d'un tiers gênant. Eh bien ! vous me
croirez si vous voulez : j'en éprouvais plus encore de peine
que de dépit. Faut-il donc, en vérité, qu'une femme ne
puisse demeurer honnête qu'à la condition d'être figée
dans sa vertu ? Et l'entrain, l'expansion, un grain d'origi-
nalité, un peu de camaraderie, devront-ils rester l'apanage
des seules coquines?
   J'en étais là de mes réflexions sur l'humanité en général
et les femmes en particulier, lorsqu'un tout petit coup fut
frappé à ma porte. Entrez! C'était la voyageuse, portant
son sarrau de toile d'une main, son sac de l'autre. Elle
pénétra vivement, et, sans reprendre haleine, comme une