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58                   LE PREMIER AMOUR

   — Elle est morte! m'écriai-je.
   — Oui, dit le vieillard. Et il y a déjà trois ans. Atten-
dez! J'ai été frappé â la même époque dans mes plus chères
tendresses ; c'est l'année ou j'ai perdu ma mère ; c'est aussi
l'année qui a suivi votre départ pour l'armée.
   J'avais le cœur gros et les sanglots m'étouffaient. Les
pleurs vinrent heureusement en abondance, et je crois que
sans cela ma poitrine aurait éclaté.
    Quand le calme fut un peu revenu, je voulus avoir des
détails sur la maladie et la mort de ma bien-aimée.
   — Oh ! mon cher enfant, répondit-il, je vous les don-
nerai volontiers, car ils auront, je l'espère, une salutaire
influence sur tout votre avenir et, si vous n'étiez pas venu,
je me proposais d'aller tôt ou tard à votre recherche pour
remplir une commission sacrée. Écoutez-moi!
   — Vous savez que j'étais depuis quelque temps curé à
Banne quand vous êtes parti pour l'armée. Mme et MUe Du-
rand, parmi mes paroissiennes, m'avaient déjà inspiré un
intérêt tout particulier, tant à cause de leurs rares qualités
que de l'état maladif de l'une d'elles. La mère m'apporta les
simples recueillis pour sa fille, sur les conseils du Grand-
Pâtre, en disant qu'elle avait été déterminée à cette démarche
par l'estime dans laquelle, d'après ce qu'on lui avait assuré,
je tenais les connaissances médicales du sorcier. Elle ne
me parla de vous que fort vaguement et jamais devant sa
fille. Et c'est d'une façon assez singulière que je fus mis sur
la trace des incidents de votre séjour à Vais. Un jour qu'on
m'avait appelé auprès de la pauvre enfant, dont la santé
déclinait de jour en jour, je remarquai sur une table, dont
elle avait fait un prie-dieu, un bouquet de feuilles et de
fleurs fanées, dont la composition bizarre devait frapper
mes yeux de botaniste. J'y retrouvais toutes nos fleurs pré-