Revue du Lyonnais » série 5 - n°2 ( 1886 ) » pp.047

                   D'UN VIEUX GROGNARD                      47

sautant lestement de sa place, s'empressa d'aller recevoir.
Nous reconnûmes aussitôt l'aconlie des Alpes à fleurs bleues
recourbées en chaperon d'aigle, d'où son nom d'aquilegia,
mais, sachant que cette plante est un poison violent, le
chasseur ne comprit pas d'abord ce que cela signifiait. Je
me rappelai alors que l'ancolie est, comme l'aconit, delà
famille des ellébores, qui passaient chez les anciens pour
guérir la folie. Je hasardai l'explication pendant que nous
fixions attentivement le sorcier pour deviner à l'expression
de sa figure si telle avait bien été réellement sa pensée,
mais l'homme aux herbes garda comme toujours son impas-
sibilité de statue. Le chasseur n'hésita pas, cependant, à
croire que mon explication était la bonne.
   — Encore une marque de sagesse que tu nous donnes,
dit-il au sorcier. Oui, tu as raison, nous sommes fous et
tous les ellébores du monde ne suffiraient pas à nous gué-
rir. Mais cela même justifie la demande d'un conseil que je
t'ai adressée et que je te renouvelle encore plus instamment.
    Le Grand-Pâtre fit un geste d'impatience et, fixant ses
regards sur son interlocuteur, il se contenta de lever la
main droite en étendant l'index, comme pour montrer le
 ciel.
    Allons! dit le chasseur, je crois avoir compris cette fois.
Allah seul est grand, et l'humanité, avec tous ses mouve-
 ments d'apparence désordonnée et contradictoire, n'est que
 Thumble et constante exécutrice de ses volontés. Nous
 sommes comme l'ouvrier tisseur dont le travail inconscient
 produit les dessins qu'une intelligence supérieure a conçus
 et dont un ingénieux mécanisme a préparé la formation.
 Tout ce qu'on lui demande, c'est de remplir exactement
 sa tâche. Il en est de même dans le tissage de notre desti-
 née. Agissons selon nos lumières et notre conscience, Dieu