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ORGUEIL 145 époque à laquelle se place un fait digne de figurer dans les vieilles chroniques du moyen-âge, sous cette rubrique : Como la ciotat d'Orgueil fuet prenso per un troupel de crabas l'an de Nostre Senhor MCCCCL. Ce fait le voici dans toute sa simplicité, tel que, pendant une halte de chasse, me le raconta l'an passé Durand, le hardi braconnier, après boire infatigable conteur : Nous étions arrivés au sommet d'une colline en dos d'âne, resserrée entre deux profonds ravins et qui s'avance en cap dans la rivière. Pour avoir de l'air et un coup d'oeil plus étendu, nous étions allés nous asseoir au centre d'un bouquet de chênes qui croissent à l'extrémité nord, à l'en- droit le plus élevé du promontoire. C'est là , sur l'empla- cement de l'ancienne Orgueil, que le vieux chasseur me fit le récit suivant, dont l'intérêt était doublé par la vivacité du geste et par le pittoresque des images. Je vais essayer de me le rappeler, en le dénaturant aussi peu que possible. « Vous voyez bien, Monsieur, ce grand arc brillant que le soleil de midi fait resplendir de l'écluse de Vire à l'écluse de Soturac ; entre ces deux points le Lot coule paisible, sans un écueil, sans une ride; il n'en était pas de même autrefois—il y a quarante ans seulement — avant les tra- vaux de la canalisation, la rivière courait encaissée, déchi- rant ses flots aux arêtes aiguës et, si vous remontez quatre siècles, vous pouvez vous imaginer ce qu'était la plaine d'en face, enserrée entre les bras de la rivière et abandonnée après une guerre longue et désastreuse, « la guerre de cent ans! » C'était un grand champ marécageux couvert de saules et de bouleaux, vrai repaire de lutins et de fées. « Mais la petite garnison du château se moquaitde tout cela. Quant aux provisions de l'année, la chasse suffisait à ses besoins, et ils savaient aussi réquisitionner le blé et le 10