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76                 CHRONIQUE    THÉÂTRALE

mais avec tant de bonne humeur, si malicieusement revê-
tus. Il est d'ailleurs des peintures dont il ne reste plus qu'à
rire, quand il n'est pas possible de s'en fâcher. Les Plai-
deurs sont une Å“uvre de ce genre.
   Tout le monde sait que l'illustre tragique ne fît cette
pièce que par hasard, par dépit, et pour se consoler de la
 perte d'un procès, dont voici, d'après un récit du temps, le
sujet. Racine avait un oncle religieux qui lui avait résigné
un prieuré de son ordre, dans l'espérance que son neveu
en prendrait l'habit. Le poète accepta le bénéfice, mais ne
se pressa pas de se faire moine, de sorte qu'à la fin un ré-
gulier lui disputa le prieuré et l'emporta. Les Plaideurs sont
nés de cette vengeance du poète, contre ses juges; heureuse
vengeance, qui nous a valu une Å“uvre unique dans notre
littérature et qui prouve que Racine aurait pu, s'il l'eût
voulu, aborder tous les genres et y réussir. Pourquoi, dans
 notre siècle, n'essaye-t-on pas plus souvent cette manière
 de se venger, la seule permise, croyons-nous.
    Cette pièce fut écrite en partie dans un cabaret fameux,
 à l'enseigne du Mouton, où s'assemblaient pour rire et in-
venter d'ingénieuses folies : Chapelle, cegrand boute-en-train,
Boileau, Furetière, Lafontaine, Racine et quelques autres
seigneurs et personnes d'élite. Les types, comme bien on
pense, furent pris sur le vif, et un conseiller au parlement,
 habitué lui aussi de ce joyeux cénacle, M. de Brillac se
 chargea d'apprendre à Racine les termes du barreau et cette
 langue étrange de la chicane à laquelle il n'entendait rien,
 heureusement.
    La pièce qui fut donnée au théâtre, en 1668, n'obtint, le
 croirait-on, qu'une médiocre faveur aux premières repré-
 sentations. Il fallut que Louis XIV, devant qui les comé-
 diens représentèrent cette pièce à Versailles, un mois après
 son apparition, en rît beaucoup et la trouvât excellente, pour
 que le parterre se décidât à convenir qu'il avait tort. En ce
temps-là, on croyait encore à la parole des rois; depuis nous
 avons changé tout cela, et c'est peut-être un bien que cela
 soit. En tous cas, le public eut raison d'écouter le jugement
 du protecteur de Molière, car ce jour-là, il eut plus de goût
 que lui.
    Nous avons dit que l'interprétation présente, malgré le
 succès, avait laissé à désirer. Il est malheureusement trop
vrai que M. Fillod, dans le rôle de Chicanneau et
 Mme Laure Jaume, dans celui de la comtesse, sont par