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278                 PIERRE ET JEANNETTE
   Cependant il eut honte bientôt de sa faiblesse. Connais-
sant l'âme si forte et si pure de sa fiancée, il savait qu'elle
ne s'écarterait pas de la promesse qu'elle lui avait faite ; il
se prit à avoir confiance, comme elle, et résolut d'attendre
les événements, en me faisant part d'ailleurs de toutes ses
pensées et en versant dans mon cœur la tristesse du sien.
   Dans ma réponse, je lui exprimais à la fois mon étonne-
ment de ce qui se passait et mon espoir de voir arriver la
fin d'une situation si extraordinaire, à laquelle je ne com-
prenais rien.
    Je lui écrivais souvent d'ailleurs, et mes paroles étaient
toujours pleines d'encouragement, quoique, au fond, j'eusse
bien des inquiétudes sur l'issue des projets de ces pauvres
jeunes gens.
    Ses lettres, à son tour, étaient aussi fréquentes que le
 permettaient ses devoirs de militaire, d'autant plus exigeants
 qu'il s'était peu à peu élevé, par son excellente conduite et
 son instruction relativement avancée, au grade de sergent-
 fourrier. Ses honnêtes sentiments s'y manifestaient cons-
 tamment et avec une chaleur, une fermeté, qui me tou-
 chaient vivement.
    Mais je n'écrivais plus à Jeannette; ses parents m'avaient,
 en partant, exprimé instamment le désir qu'il ne leur par-
vînt de chez moi aucune lettre, quand même nous saurions
 leur nouvelle demeure, qu'ils avaient soin d'ailleurs de ne
 pas nous dire. Ce n'est que plus tard que je connus l'exis-
 tence que menait, dans ce lieu reculé, l'honnête famille,
 exilée de ses vieux foyers par les plus odieuses trames.
    Le petit hameau de la Chapelle occupe une gorge étroite
 à peu de distance des sources de la Grône, et non loin du
 mont Saint-Rigaud, qui est le plus haut point des monta-
 gnes du Beaujolais. On n'y pénètre que par des chemins
 difficiles, à travers des rocs escarpés et des forêts de sapins