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276 PIERRE ET JEANNETTE et le départ du ménage fut résolu pour la semaine sui- vante. Les gens de Beauregard, à qui André se garda de dire le motif de ce déplacement, en apparence si étrange, crurent que le pauvre homme était devenu fou, ou qu'il avait fait des affaires désastreuses ; et cependant ils le virent régler parfaitement tous ses comptes avant son départ; solder d'avance la fin de son bail à son propriétaire, se conduire enfin comme l'homme le plus droit et le plus sensé en tout, excepté pour cet éloignement auquel on ne comprenait rien, et dont je fus le premier profondément étonné. L'air triste, embarrassé et froid avec lequel il me fit ses adieux m'inspirait, comme aux autres habitants du village, la crainte que le père André n'eût le cerveau dérangé. Ma- deleine et Thomas, ces perfides qui savaient à quoi s'en tenir et qui riaient sans doute sous cape de la réussite de leurs méfaits, feignaient eux-mêmes la surprise et le cha- grin. Les sanglots de la malheureuse Jeannette nous arrachaient le cœur. Hélas ! elle ne savait pas elle-même pourquoi ses parents quittaient un lieu qu'ils avaient tant aimé. Elle res- pectait le secret qu'ils paraissaient vouloir garder sur leur résolution ; mais de quelle amertume était pénétré son coeur en voyant leur figure si triste et si sombre ! Et quelle ne fut pas sa douleur surtout, quand ils lui dirent qu'il ne fallait plus qu'elle pensât à se marier avec Pierre, par des raisons qu'ils refusaient d'expliquer ! Elle leur demanda la permission de lui écrire du moins une dernière fois pour lui faire part de leur détermination : ils ne s'y refusèrent pas. Voici sa lettre, qu'elle s'empressa de me montrer : « Je ne sais, ô mon ami, quel malheur est venu fondre