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UNE FEMME MURÉE 135 refusa de l'accompagner, et la confia à plusieurs dames; il semblait l'éloigner à dessein. Gabrielle fut enchantée de sa navigation, de la situa- tion de l'abbaye, de sa sombre église, de ses statues de pierre, gardiennes des tombeaux, et, suspendue quelques instants comme les moines, entre le ciel et la terre, elle pria pour tous ceux qu'elle aimait. Le nom d'Emma se plaça sur ses lèvres; elle demanda à Dieu d'éloigner d'elle les tempêtes qui dessèchent et qui brisent, de lui donner des jours calmes et sereins. Quelques jours plus tard, le comte de Mornieux, après plusieurs phrases banales sur la nécessité d'avoir un hé- ritier de son nom, pour recueilir le fief masculin do Gr&- mont, apprit à sa fille qu'il avait choisi une seconde épouse et que son mariage était fixé, qu'il se célébrerait dans trois mois. Gabrielle fut profondément émue. Cet événement tant redouté de sa mère allait donc s'accomplir ! Quelle fem- me allait succéder à la douce et pieuse Cécile ? Serait- elle une mère, une compagne pour elle ? flatterait-elle les passions terribles de Gaspard ? seraît-elfe un fléau ou une bénédiction pour la seigneurie ? Gaspard regarda Gabrielle comme pour jouir de sa surprise, de son in- quiétude; enfin osant à peine lever les yeux sur lui, elle lui dit : — Me serait-il permis, ô mon père, de vous de- mander le nom de celle qui va devenir dame et maîtresse du château de Gramont? — Vous la connaissez, reprit Gaspard, c'est la fille du seigneur de la Roche? — Quoi! Emma de Lausac? — Oui, elle-même; il me semble qu'elle vous a plu déjà , et je vous demande pour elle votre amitié.