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                   HISTOIRE D'UNE PENDULE                45 3

 ans, mal venu, maigre, aux épaules presque, aussi hautes
 que la tête. Sa malpropreté, ses cheveux trop longs en
 broussailles, ses habits déchirés, sa figure pâle et grima-
 çante, où brillaient de petits yeux gris méchants, en fai-
 saient le rebut du village, comme par ses mauvais tours il
 en était la terreur. Son père, pour quelque honteux mé-
 fait, avait été condamné à sept ans de prison et. était
 mort après trois ans de sa peine. Sa mère était une bonne
 femme, mais de petit esprit, sans énergie, qui n'avait
 aucune autorité sur son fils qu'elle grondait sans cesse
 sans le punir jamais, ce qui est, voyez-vous, la plus détes-
table manière d'élever un enfant. Molle, incapable d'un
 travail tant soit peu pénible, pleureuse sempiternelle, il
lui arrivait souvent d'être dans la misère, mais on lui
donnait volontiers tant elle était humble, inoffensive et
malheureuse. Elle venait très souvent à ma boutique et
je m'épuisais en remontrances auprès d'elle sur sa grande
faiblesse envers Pierre. Ce mauvais sujet de Pierre faisait
parfois de si drôles de grimaces qu'il était impossible de
s'empêcher de rire, et sa mère ne s'en privait pas ; c'était
l'argument auquel il ne recourait que trop souvent lors-
qu'on lui adressait des reproches toujours mérités.
   La première fois donc qu'il vit ma chère pendule, il se
mit à genoux et joignit les mains en .prenant un air d'ex-
tase tout comme s'il eût été devant un objet de dévotion,
puis se jetant soudain à terre, mains en avant, tête en
bas et jambes en l'air, il tourna plusieurs fois sur lui-
même en criant : C'est-y beau ! c'est-y beau ! et tout cela
d'un air si comique que je ris malgré moi.
   Je vous dis là des choses qui n'ont pas d'intérêt, mais
elles sont nécessaires à l'intelligence de mon récit.
   Gela se passait en 1868. Deux ans après, vous savez
assez ce qui arriva. Heureux ceux qui sont morts aupara-
vant, fiers de la grandeur de la France.