page suivante »
HISTOIRE D'UNE PENDULE 45 3 ans, mal venu, maigre, aux épaules presque, aussi hautes que la tête. Sa malpropreté, ses cheveux trop longs en broussailles, ses habits déchirés, sa figure pâle et grima- çante, où brillaient de petits yeux gris méchants, en fai- saient le rebut du village, comme par ses mauvais tours il en était la terreur. Son père, pour quelque honteux mé- fait, avait été condamné à sept ans de prison et. était mort après trois ans de sa peine. Sa mère était une bonne femme, mais de petit esprit, sans énergie, qui n'avait aucune autorité sur son fils qu'elle grondait sans cesse sans le punir jamais, ce qui est, voyez-vous, la plus détes- table manière d'élever un enfant. Molle, incapable d'un travail tant soit peu pénible, pleureuse sempiternelle, il lui arrivait souvent d'être dans la misère, mais on lui donnait volontiers tant elle était humble, inoffensive et malheureuse. Elle venait très souvent à ma boutique et je m'épuisais en remontrances auprès d'elle sur sa grande faiblesse envers Pierre. Ce mauvais sujet de Pierre faisait parfois de si drôles de grimaces qu'il était impossible de s'empêcher de rire, et sa mère ne s'en privait pas ; c'était l'argument auquel il ne recourait que trop souvent lors- qu'on lui adressait des reproches toujours mérités. La première fois donc qu'il vit ma chère pendule, il se mit à genoux et joignit les mains en .prenant un air d'ex- tase tout comme s'il eût été devant un objet de dévotion, puis se jetant soudain à terre, mains en avant, tête en bas et jambes en l'air, il tourna plusieurs fois sur lui- même en criant : C'est-y beau ! c'est-y beau ! et tout cela d'un air si comique que je ris malgré moi. Je vous dis là des choses qui n'ont pas d'intérêt, mais elles sont nécessaires à l'intelligence de mon récit. Gela se passait en 1868. Deux ans après, vous savez assez ce qui arriva. Heureux ceux qui sont morts aupara- vant, fiers de la grandeur de la France.