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                        L'ESTÉREL                         63

 genre. Notre ami, qui connaissait ces passages, nous ré-
 servait une véritable surprise pour le cinquième et der-
 nier tour de force sur lequel nous allions être appelés à
 faire nos preuves d'adresse et d'aplomb. Nous en passons
 trois qui se trouvaient dans les conditions d'équilibre du
 premier ; mais, arrivés en face de ce terrible cinquième,
nous nous demandons si jamais chair humaine s'est ris-
 quée à être embrochée sur un pareil perchoir? Enfin, il
n'y avait pas à reculer : le perchoir de perroquet à escala-
der ou revenir sur nos pas et repasser nos q uatre ponts
suspendus sur l'abîme. Le danger est, dit-on, la gour-
mandise des âmes fortes, mais, franchement, nos âmes
n'en étaient guère tentées, et nous eussions préféré des
rafraîchissements ou un bon tapis moelleux à cet affreux
sapin arrondi et hérissé de branches mal coupées sur
lesquelles on avait grande chance de tomber, mais il est
vrai aussi de s'accrocher pour ne pas aller rouler au
fond du précipice. Enfin, prenant, comme l'on dit, notre
courage à deux mains, nous escaladons le perchoir sans
encombre et rentrons dans un sentier tracé, mais non
exempt de ces pralines ennemies de nos chaussures.
   Aussi fallait-il souvent nous arrêter ; mais alors nous
nous reprenions à admirer ces roches mêlées d'arbres
tordus comme des désespérés qui avaient l'air de lutter
contre ces blocs de porphyre qui les écrasaient malgré
eux. Quelles beautés sauvages et grandioses !
  Non, je ne crois pas qu'au monde il existe un spécimen
de chaos plus saisissant et plus admirable. J'ai déjà vu
beaucoup de ces vallées pittoresques, depuis les vallées
des Alpes jusqu'à celles moins grandioses des Pyrénées ;
depuis celles de la Ghiffa en Afrique jusqu'à celles d'E-
cosse et de la Chaussée des géants en Irlande : mais, à
part cette dernière, qui est une beauté d'un ordre particu-