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88 L'ESTÉREL Nous cheminions toujours en grimpant pendant deux heures environ ; les sentiers à peine tracés et souvent coupés par des éboulis ne laissent pas que de rendre la mar- che très-pénible. Dans ces passages, les pieds s'accommo- dent assez mal de ces énormes pralines dont les angles entament les chaussures les plus solides. Enfin, nous arrivâmes à un col, d'où nous jouîmes d'une vue merveilleuse. D'un côté, des groupes de mon- tagnes enchevêtrées les unes dans les autres, et, par une échappée, Fréjus, qui se présente avec ses antiques dé- bris, entouré de fertiles jardins et de quelques villas épar- ses ; en se retournant du côté d'où nous venons, une val- v lée profonde, verte et plantureuse, qui, après plusieurs contours, se termine par la mer sans fin qui se confond avec le ciel. Arrivés à ce point culminant, nous commencions à re- descendre, lorsqu'un vacarme inattendu arrêta notre mar- che et nous procura un certain saisissement : c'était une ' bande de sangliers (fort occupés à se régaler de bulbes d'asphodelles très-abondantes dans ces paragesJ qui, effrayés par notre présence inattendue, nous avaient aussi singulièrement épouvantés nous-mêmes par leur fuite précipitée, se jetant à corps perdus dans cet abîme végé- tal dont ils font craquer les branches et rouler les pierres jusqu'au fond. Après quelques minutes de ce tapage, nous ne les entendîmes plus ; tout rentra dans le silence, et notre attention fut absorbée par les sauts et gambades d'un animal moins féroce : c'était un écureuil moins bru- yant que ses concitoyens, qui croquait des pommes de pin et des noisettes sur une roche surplombant le torrent écume ux du fond. Nous continuâmes notre chemin, toujours de plus en plus raboteux : à notre droite, l'abîme où s'étaient préci-