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388 RENÉ DE LUCINGE « Voici, Madame, une eau merveilleuse qui éloigne à jamais les rides de la beauté ; vous lirez plus tard le papier qui vous apprendra à vous en servir. » Le vieillard se retira, et le moment de distraction qu'il avait procuré éloigna un instant les tristes préoccupations des jeunes femmes. Marguerite seule, plus rêveuse qu'a- vant son arrivée, se retira à l'écart pour relire la lettre que René de Lucinge lui avait fait remettre à l'aide d'un déguisement par son fidèle Pedro. L'infortuné chevalier révélait son nom à la duchesse, sa résolution de perdre plutôt la vie que de prendre le com- mandement de la flotte ennemie, ses vœux pour rentrer dans l'ordre de Malte, où il fuirait à jamais sa présence. Il demandait ensuite à la princesse un profond secret et le bonheur de la revoir encore quelques instants, sous le voile qui entourait le mystérieux Occhioli. Marguerite crut devoir lui répondre par le prétendu magicien qu'elle l'assurait de sa protection et de son désir de le rendre à l'ordre de Malte, et qu'elle confiait à sa générosité et à sa belle âme la vie de son époux si elle était en danger près de lui. Une larme de Marguerite tomba sur sa lettre à la pensée de la constance du cheva- lier. Elle comprit alors que la passion qu'elle avait inspirée à son noble cœur était de celles qui ne s'éteignent jamais, et dont les conséquences sont toujours fatales. Cependant les premiers coups de canon retentissent : les forbans commencent l'attaque, ils font des prodiges de valeur, ils combattent sur les vaisseaux du port, grimpent sur les bastions, abordent la forteresse, se battent comme des lions, et font un grand nombre de prisonniers. René contemple le terrible spectacle ; il espère que le ciel vien- dra à son aide sans comprendre encore comment. Tout à coup, Guy de Rougemont, qui a gagné le large dans une