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TACITE 285 secreto suo satiatus, pour exprimer la sombre misanthropie d'une nature jalouse, cet impelus famée , pour exprimer l'ascendant irrésistible d'une prestigieuse renommée, n'ap- partiennent qu'à Tacite. Et que dire de ce languesceret que Bossuet a fait passer dans notre langue, quand il dit : La louange languit auprès des grands noms ! Voici un exemple tout aussi remarquable dans un autre genre : Ceux qui étaient mécontents du gouvernement de Tiridate se retournèrent du côté d'Artaban et allèrent le trouver, dans l'Hyrcanie, pour lui offrir la couronne. Tacite dit â cette occasion : Sensit, vêtus regnandi, falsos in amore, odianon fingere (1). Qui ne voit que ce vêtus re- gnandi remplace toute une phrase que l'historien s'épar- gne? Je trouve, à l'endroit de l'empereur Othon, une sup- pression non moins hardie, dans ces mots : procax otii, et poleslatis temperantior, pour dire, qu'il était particulier licencieux et homme public plus réservé. Je borne là les citations, on en relèverait de semblables à chaque page ; ce peu suffit à montrer l'emploi sans pareil que Tacite sait faire de sa langue. Or, il est évident, que quiconque n'est pas initié à ce mécanisme, pourra bien extraire de la phrase de l'auteur ce qu'il a voulu dire, mais, la précision, le trait caractéristique, la grâce ou la force de la pensée resteront dans le texte. Quand on voit la peine inouie que se sont donnée les traducteurs les plus renommés, pour arriver aux richesses cachées sous cette hardie linguistique, on ne doute plus que l'insigne cause des obscurités de notre historien né soit là . De ce que je viens de dire , je conclus que , pour savoir et goûter Tacite , il ne faut pas le lire dans une traduction ; cette traduction fût-elle la meilleure. Ceux-là seuls peuvent dire qu'ils connaissent cet écrivain qui l'ont (1) Vieilli sur le trône, Artabaa sentit bien que, si l'on avait pris le masque d« l'affection, on Ke simulait pas la haine. (Annal., 1. VI, c. XLIV.)