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NOUVELLE DAUPHINOISE. 211 en exhalant sa voix d'ange. 0 l'adorable paysanne ! mais c'est qu'elle a des traits fins, avec la carnation veloutée de son âge, avec de grands yeux bien doux, de la couleur des clochettes bleues qui prennent le frais, non loin du ruis- seau; avec des cheveux d'un blond d'or qu'envierait une princesse. 11 y a bien * un nuage sur cette physionomie charmante, même lorsque la jeune fille chante si délicieu- sement, mais elle est garde-malade, sa mère souffre, et comme ses chansons appaisent les douleurs de la pauvre femme. Marguerite, la douce Marguerite est heureuse de les lui faire entendre. C'est la perle blanche du pays, une fleurette odorante et cachée ; c'est l'unique appui de la veuve. Tout son patri- moine consiste en cette maisonnette, en un petit enclos dont la récolte les nourrit, puis en quelque méchante somme placée à la ville voisine. Mais elle est riche de son âme, de son dévoûment, de son esprit naïf, de sa beauté hors ligne. Vous me direz, sans doute : — c'est peu de chose, par le temps qui court. — Il y avait quelqu'un qui ne pensait point ainsi. C'était un fier beau gars de vingt-deux ans, uni- que héritier d'un propriétaire dont l'habitation annonçait parfaitement l'aisance. Il possédait les plus vastes champs de blé, les plus riches vignobles du pays. Julien était assez grand, bien découplé; il avait un visage plein de franchise, de décision et d'intelligence, qu'illuminaient de manifiques yeux noirs. Souvent, en passant devant la chaumière de Marthe, il apportait des douceurs à la pauvre infirme, les meilleurs fruits de son verger, les plus jolies fleurs du parterre. Ensuite, il lui disait tendrement : — Bonne mère, embrassez-moi, s'il vous plait! — Ce qui se faisait tout de suite, comme on le pense bien. Alors Julien clignait de l'œil, afin de voir, à la sourdine, si la respectable femme ne lui dirait pas : — Embrasse aussi Marguerite...