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CHRONIQUE LOCALE Ce n'est qu'un cri : la chasse et les vacances ! les malles sont faites, nous voilà partis. Qui part? Ah ! naturellement ceux qui ont besoin de repos : les écoliers qu'on a surmenés pendant dix mois et qui vont passer d'un extrême tra- vail à un extrême repos , les députés qui ont légiféré , les magistrats qui ont jugé et, par-dessus le marché, messieurs lfs avocats et messieurs les avoués... Très-bien... et les autres? Ah ! qu'il s'en trouve qui ne sont ni avoués, ni avocats, ni juges, ni dé- putés, ni écoliers et qui, dans le cours de leur vie, n'ont pas même le repos du dimanche ! Les médecins, les employés, la poste, les chemins de fer, Sa plupart des négociants, les marchands, (e« ouvriers et par-dessus tout, les pauvres femmes, les couturières, les repasseuses, les mères et les nourrices ! Et encore si le mari ne fumait pas, ne buvait pas, ne battait pas ! Ah! voilà les martyres qui auraient besoin de vacances ! Et la chasse! Ah ! ceci est moins sérieux ; parlons-en. Nos ancêtres, nos vieux aïeux, chassaient l'ours et l'auroch ; on atta- quait le fauve corps à corps ; on l'apportait quand il ne vous emportait pas et on le mangeait quand il ne vous mangeait pas. La chasse avait alois d'irrésistibles séductions ; c'était charmant. Le monde ayant dégénéré, on chassa le cerf et le sanglier. On se mit vingt contre un chevreuil : chiens et chevaux, piétons et cavaliers , cors et fanfares pour une chevrette inoffensive qui fuyait la larme à l'œil. Bien- tôt il n'y en eut plus. Nos pères contaient qu'ils avaient chassé le lisvre et le renard et ils gé- missaient en songeant que la perdrix était détruite. Ils se rabattaient sur la caille et la grive, oiseaux de passage, que la Providence conserve pour l'entretien des manufactures d'armes et le plaisir de ceux qui aiment à pié- tiner les vignes et les blés noirs. Nos fils chasseront-ils ? chassent-ils même? Ils auront l'alouette, la gracieuse, fine, élégante alouette, qui chante en s'élevant dans les airs et qu'on peut peloter sans fatigue et sans danger. Salut, gentil oiseau, jadis emblème des vieux Gaulois, aujourd'hui seul gibier de la France! Les Gascons et les Provençaux barrent le passage aux malheureuses cailles qui tombent sur leurs rivages ; ils les assomment, les rôtissent et les expédient aux gourmets de tous les pays ; on en mange mais on n'en voit plus ; salut, grive joyeuse et rapide, salut surtout à toi, petite alouette, gibier de l'ave- nir ! Mais ne craignez rien ; nos fils aimeront mieux politiquer , boire, fumer, jouer, que semer du plomb dans la plaine. Nous vous avons sou- vent bien effrayée ; rassurez-vous, la fusil ne vous poursuivra plus. Seule- ment, chères petites, gare aux traînasses du braconnier ! On a supprimé la chasse faute de gibier, ne va-t-on pas changer et mo- difier aussi toute la campagne, autrefois si poétique et si belle, en suppri- mant les foins, les moissons , les vendanges ou plutôt en remplaçant les faucheurs, les faneuses, les moissonneurs, les glaneurs, les vendangeurs, toute cette population joyeuse , alerte et courageuse , par des machines, des rouages et des vapeurs ? Voyez cet homme sur un siège étroit traîné par deux chevaux ; il fauche en un tour de main, il moissonne en un instant ; cette machine qui chauffe au penchant du coteau, elle laboure; celte usine, elle bat; cette autre? elle moût. Et ces vastes bâtiments ? c'est ce qui remplace le boulanger, c'est la manutention. On fait mûrir les fruits en serre chaude, on fait éclore les fleurs du tro- pique sous nos climats ; on mange des fraises en hiver, on bâtit un palais