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APPROCHE, SI TU ES HAHDI ! 59 — Bonne compagnie, répondit Favier, l'estafier était le diable ! — Aussi le saint homme obligé, de vivre avec ce bour- geois, prenait-il son fusil quand il venait le soir faire ses oraisons en cet endroit, histoire de braconner à l'affût pour graisser un peu sa cuisine de solitaire; arrivaient à la file, cerfs à grand bois, lièvres cornus; pan! Ils tombaient... puis se relevaient, car c'étaient des diables, et leur maître en ricanait à la barbe de saint Martin. — Je comprends cela, camarades ; il faut veiller jour et nuit sur ses propres défauts, qui sont diables vraiment. — Où vas-tu donc quérir tes explications, toi? petit cu- rieux, creuse ta tête de linotte, puisque tu as l'esprit tour- menteux. Nous diras-tu, par exemple, pourquoi un riche a choisi ce pays coupé de rochers, de grottes, de méchants taillis et de pinées pour bâtir un château tout au bout de Bonnevaux, bien viré en air de montagne? Il y fait un froid de loup, un vent de bise à décorner les bœufs, une neige sassée et ressassée à en être aveuglé. — Eh bien! Il a cette fantaisie, dit tranquillement Fa- vier.Il a longtemps vécu en Afrique ou habité les plaines; il aime à monter, voir de haut et de loin. Ah! voir de haut, aviser au-dessous de soi, remuer petites choses et petits hommes dans les petits villages; c'est être quasi comme l'oi- seau dans le ciel ou l'étoile au firmament ; écouter l'eau gronder là -bas dans les gouttes profondes,ou bien tranquille sur le haut d'un rocher ne voir que l'air bleu ! c'est un plaisir, ca! — Oui, plaisir de fainéant, n'est-ce pas, mon garçon ? mieux vaut lever le nez que tout le jour courber son pauvre corps sur l'outil. C'est bon pour tous les faiseurs de lettres moulées, peintres, plâtriers, écrivailleurs, qui remuent l'ar- gent à la pelle. Mais toi qui n'est qu'un terrassier comme nous, prends garde d'avoir l'entendement viré vers l'extra- vagance. Çà ne vaut rien pour un ouvrier de livrer son aime à d'autres choses que le métier de tous les jours.