page suivante »
398 BEAUX-ARTS. difficulté, comme Beaudelaire un sonnet pour essayer deux rimes, M. Lavergne, dis-je, s'est donné pour but de ressusciter toute la faune héraldique telle qu'elle devait exister dans l'imagination de ses créateurs. Son œuvre se compose déjà de 20 à 25 toiles ou cartons. — Nous venons de les voir dans son modeste atelier-musée de la rue Saint-Joseph, n° 54. Il nous paraît impossible que plus facilement l'on s'as- simile son sujet ou plutôt que l'on se laisse emporter par lui. Jamais les matelots hallucinés par la superstition de l'horrible, dans une nuit de tempête et d'épouvantement, n'ont pu voir galoper sur l'abîme, à la place de l'écume, une licorne plus menaçante, plus fatidique. — Sa blan- cheur spectrale s'enlève sur le fond noir et sanguinolent des ténèbres traversées par la foudre, et, de sa corne, elle semble, comme d'un sceptre magique, désigner l'équipage à la perdition et à la mort. — Jamais, à l'approche d'un récif, ils n'ont vu bondir de son antre cheval marin plus infernal. Sa crinière et les contours de sa croupe sont pro- filés parles éclairs, l'électricité l'enveloppe. On devine que le désordre des éléments est sa joie et qu'il se plaît à jouer avec les vagues gorgées d'épaves et de cadavres. Jamais aussi, par un temps calme, après une longue navigation, les voyageurs, fatigués par la chaleur et le spectacle constant de L'immensité, affaiblis par les priva- tions et surexcités par les désirs, n'ont pu sourire, à l'heure de la sieste, en s'endormant sur le tillac, à une fi- gure plus gracieuse, plus séduisante que celle de cette si- rène au corps d'albâtre caressé par le flot limpide et bleu, dontlaqu3ue ondule entre deux eaux en réfléchissant sur ses écailles les couleurs consolantes de l'arc-en-ciel. Le lion, l'aigle, le dragon, le griffon, le coursier, sont aussi heureusement représentés. Non-seulement l'auteur a cherché à leur donner la perfection de leurs formes natu- relles ou idéales , mais encore à reproduires dans leurs accessoires, dans leurs poses et leurs expressions, les ver- tus, les vices, les qualités, les défauts, les idées dont ils étaient les emblèmes. Aussi, au premier coup d'œil, l'on se sent attiré par eux et l'on se prend à rêver en les examinant, comme cela ar- rive à la vue de tout objet d'art dont l'aspect plastique n'est pas le seul mérite et qui sous son enveloppe, qu'elle soit académique ou grotesque, exprime une pensée, révèle un sentiment. L'exécution répond au plan général de l'œuvre, elle y