page suivante »
302 CHASSE A lA GK1VK. boive, s'abrutisse et tombe dans tous les excès , dans toutes les dégradations des buveurs de profession? Les anciens l'ont regardée comme un oiseau de mau- vaise vie. On l'avait consacrée à Bacchus, et un proverbe calomnieux comme beaucoup de proverbes, dit insolem- ment : saoul comme une grive D'abord, parce que le vin fermenté peut enivrer, est-ce une raison pour qu'une graine de raisin, cueillie et pico- rée sur le cep, puisse troubler la raison et monter à la tête? J'aurai de la peine à en convenir. Soyons justes, même avec les pauvres grives qui elles auraient bien d'autres choses à nous reprocher. Les panthéistes disent que la nature a une âme ; parbleu î je vais plus loin! Je dis que tout, dans la nature, tout, dans ce vaste univers, a, sinon une ame, ce mot nous mè- nerait trop loin, du moins une intelligence, un caractère, un sentiment et des passions. J'en ai des preuves. Touchez donc une robe de soie sans frémir. Voyez donc une pile d'or sans avoir la démangeaison de la saisir. Je connais des fruits qui sont gais à la folie. La cerise et la groseille sont la joie de tous les pays. Leur gaité est si communicative qu'une assiette ap- portée sur une table, fait éclater de rire les convives. L'en- fant crie, frappe des mains, et rougit de bonheur en faisant des boucles d'oreille avec ces grappes dans lesquelles se joue le soleil, et leur contact seul fait frissonner les petits doigts mignons qui les palpent. La pêche est riche, elle le sait et cela lui donne une lé- gère teinte d'orgueil. Mordre une pêche, c'est comme si on embrassait une grande dame, une duchesse ; chacun l'a éprouvé. Presque aussi bonne que la pêche, mais plus modeste, la poire me fait l'effet d'une honnête bourgeoise qui, sans prétention et sous un costume simple, réunit les plus ex- quises perfections.