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270 T.ES CHASSEURS DE RENNES. frapper du pied ou de la main pour les forcer à se lever. Je cherchais à crier; mais de ma gorge serrée par des spasmes, il ne sortait que des bruits rauques et des sons confus. Je suppléai à cette impuissance par des gestes désordonnés. D'une main, je montrai les femmes et les enfants, de l'autre, les feux des Cheveux-Pà les. Je mar- chais en trébuchant comme un homme ivre ; je tremblais comme un lâche, et pourtant je n'avais pas peur. Et plus je cherchais à rentrer en possession de moi-même, plus ma tète s'égarait. Les profils noirs des montagnes voi- sines semblaient danser une ronde fantastique autour du Rocher. Le Mont-de-Pouilly faisait des bonds prodi- gieux, et le pic de Vergisson, un frère de celui de Solu- tré, de l'autre côté de la vallée, se heurtait aux nuages comme pour faire des trous dans le ciel. Le vent sifflait dans les fentes des pierres, et la pluie l'accompagnait en sourdine de son bruit monotone. XLI Tout à coup, une clameur immense partit du camp ennemi. En un instant, l'intervalle qui nous séparait fut franchi, et sur toute la longueur de notre palissade vint se ruer une vague humaine qui, refluant contre l'obstacle, s'enfla et déborda de toute part. Les noires silhouettes des Cheveux-Pâles apparaissaient comme des démons au dessus des pieux, se dressaient de toute leur hauteur et retombaient au milieu des-nôtres. Ce fut un moment d'épouvantable lutte. Je fis feu devant moi sans viser, et quand j'eus brûlé tout ce qui me restait de cartouches, je lombai dans la mêlée à coups de crosse de fusil, avec rage, au hasard, sans distinguer amis ni ennemis jus- qu'à ce que mon arme se brisât et volât en éclats.