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LE PAGE DU BARON DES ADRETS. 423 tenus depuis, s'échangeaien! entre les passants; des poi- gnées de main se donnaient ostensiblement à la barbe des Suisses et des Dauphinois qui remplissaient la ville et dont les yeux s'enflammaient à ces manifestations muettes qu'ils comprenaient mais qu'ils ne pouvaient ni empêcher ni incriminer. Nobles, peuple, bourgeois, maudissaient et bravaient leurs oppresseurs, mais, con- tenus par la force armée, sans chefs, sans union, ils n'osaient attaquer la tyrannie et ils attendaient du temps et du hasard l'occasion de représailles sanglantes. Dès que l'orage se fut un peu calmé et que la foule écoulée eut permis une circulation plus libre, !a jeune bourgeoise remercia le marchand de draps, lui promit sa pratique pour l'avenir et toujours suivie de ses deux servantes, gagna le pont de Saône qu'elle se mit en de- voir de traverser. Le pont était encore occupé par des groupes plus ou moins agités ; il fallait même un certain courage pour aborder cette foule composée de visages peu rassurants; des femmes, de jeunes femmes malheureusement trop jolies, devaient courir plus d'un danger au milieu de curieux oisifs dont rien ne comprimait en ce moment la cupidité et les passions; cependant, sur un signe encou- rageant de sa servante, la dame avança d'un pas ferme et délibéré et en dépit de quelques lazzis peu décents qui parvinrent jusqu'à son oreille, elle se trouva enfin sur le carré de l'épicerie. De grands bruits s'élevaient à gauche, dans la rue Longue, quartier général du petit peuple protestant. Le logis Saint-Martin avait toujours été le lieu de réunion des réformés et les assassins s'y glorifiaient en ce moment