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                        LYONNOISUNA.                     249

 qui ne sauraient payer trop cher leur ignorance en fait
 d'art, les boutiquiers qui se font des comptoirs de marbre
 et des devantures à grandes vitres doivent, pour se
 rattraper, tromper sur le prix ou sur la qualité. Il ne
 concevait pas qu'un Lyonnais pût quitter sa patrie,
 terre privilégiée où l'on vivait si bien, où l'esprit circu-
lait franc et prime-sautier et sans alliage de l'esprit
malsain des romans et de théâtre, et cela depuis l'atelier
des artistes jusqu'aux comptoirs de la rue Trois-Car-
reaux et aux postes des Crocheteurs. Quitter la Morta-
delle et l'échina, le vin de Sainte-Foy et la bière de
Koock, le chocolat de Casati, les bons dîners chez Maire,
rue de la Limace, lui paraissait une aberration, comme
de dire adieu aux promenades d'été à Rochecardon, à
Oullins et au Mont-Cindre, comme de laisser les flots
bleus du Rhône et les fromages du Mont-d'Or, pour les
eaux fangeuses de la Seine et le très-médiocre fromage
de Brie. Lorsque plus lard il vit disparaître les heches
de la Saône et les illustres nageurs D... , L..., B . . . ,
lorsque les campagnes furent dépoétisées par les omni-
bus, les chalets et les jardins anglais, lorsque les mar-
chands de comestibles et les pâtissiers se munirent
d'huîtres et de brioches de Paris, son découragement
fut complet : il faillit abandonner la rue Tramassac où
il habitait depuis soixante ans, pour se retirer en Algérie
ou à Vernaison. Une forte sciatique arrêta ce projet.
Mais un beau jour il lut dans un journal, bien qu'il
n'en lût guère, qu'on avait débaptisé la montée de Tire-
Cul, la rue de l'Enfant qui pisse et le quai Villeroy ;
il en eut une attaque qui le mit à deux doigts de sa
perte et dont les suites finirent par le mener à Loyasse