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                         LE GRIMPION.                        157
les fossés de la ville ; il faut recommencer un siège souvent
infructueux, car ses voisins qui lui souriaient en été lui font
la moue en hiver , et, après lui avoir ouvert la grille rusti-
que de leur ferme, lui jettent au nez la porte de leur hôtel.
    Enfin, s'il entre dans la belle société, il ferme a ses filles
la porte du temple de l'hymen, car on sait la différence qu'il
existe entre recevoir quelqu'un chez soi et l'e'pouser, et les
grimpionnes, qui quittent le bâton le plus élevé de l'échelle
des roturiers, embrassent le célibat par cela même qu'elles
mettent le pied sur le bâton inférieur de l'échelle du grand
monde, cela se conçoit.
    Puis les enterrements jouent de bien vilains tours au
grimpion; car, s'il a renoncé h des parents obscurs durant
leur vie, il faut du moins qu'il les accompagne au cimetière
 après leur mort; on ne se fait pas remplacer pour cette cor-
 vée-là comme pour une garde à monter. Alors, si l'enter-
 rement a lieu a pied, il est facile de concevoir la gêne, la
 torture du grimpion menant le deuil d'un cousin germain
 qu'il n'a pas vu depuis des années, et qu'il n'a retrouvé que
 l'aide et encaissé. Regardez-le s'enterrant lui-même au
 fond du col d'un grand manteau noir , et cherchant a
 voiler sa figure dolente : oh ! comme il aimerait se cacher
 dans cette bière qu'il escorte ! quelle humiliation que de
 défiler, avec une parenté de simples artisans, sous les yeux
 des belles gens auprès desquels il s'est insinué ! et, si le ciel
 est pur, les chemins secs, la promenade attrayante, quel
 désastre pour lui que de rencontrer à chaque .instant ces
 hauts personnages qui lui demanderont compte et raison
  de sa présence inattendue en si mince compagnie !
     Il est dans la rue, cheminant avec l'un des nouveaux amis
  dont il est le plus fier ; tout à coup un vieux oncle, à parole
  brusque et franche, vrai marin de terre ferme, l'aborde,
  et, lui empoignant la main, lui braille aux oreilles avec une
  voix de Stentor et l'accent du terroir le plus prononcé :
  « Eh! neveu, comment va-t-ii ? on ne te voit plus depuis
  que tu as quitté les rues basses et que tu t'es allé percher
  dans les beaux quartiers. Comment vont la femme et les pe-
  tits bambins ? » Hélas ! chacune de ces paroles est un coup
  de poignard dans l'orgueil du grimpion ! sa vanité en est
  percée a jour; il est assassiné dans ses prétentions su-
   perbes.
      Et les plaisanteries caustiques des anciens amis de col-