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DES RELATIONS PASSAGÈRES. « // faut voyager pour apprendre à connaître les hom- mes, » disent beaucoup de gens. Mais ces gens-là sont loin de penser comme moi ; je crois même qu'ils se trompent étrangement ; car si rien n'est plus difficile que de savoir à quoi s'en tenir sur ceux avec lesquels on vit sans cesse, comment apprécier à leur juste valeur ceux qu'on ne voit qu'en passant ? Descendre dans le coeur d'autrui est une tâche longue, délicate, dont on ne peut s'acquitter à la course -, elle exige de l'observation et du temps ; aussi vous pourrez, d'une chaise de poste, voir les costumes d'un pays, des fenêtres d'une auberge quelques usages et cérémonies. Invité dans quelques salons d'une ville, il vous sera loisible de juger du ton, de l'esprit, des manières d'une partie de ses habitants ; mais ce n'est pas là ce qu'on appelle connaître les hommes ; et je pense que, changeant le faux adage qui commence cet article, on devrait dire pour le rendre vrai : Il faut voyager pour voir l'humanité en beau. Rien, en effet, n'est plus séduisant que les relations passagères qu'on contracte avec ces personnes que l'on sait qu'on va laisser pour ne plus les revoir peut-être ; cette idée même jette un charme doux et mélancolique sur ce petit bout de la route de la vie que nous faisons de compagnie avec elles, nous apprécions d'autant plus leurs agréments, que nous avons peu de temps à en jouir ; le moment de leur séparation d'avec nous qui s'ap- proche nous rend plus agréable celui de leur rencontre qui s'éloigne ; nous les regrettons pour ainsi dire avant de les avoir quittées, et nous nous y attachons d'autant plus que nous allons les perdre. Ce sentiment naturel a l'homme s'explique