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546 CHARABAKA. qu'elle se présentait à l'esprit de Gauthier, l'image de la noyée lui apparaissait soudain. Et dans ce dernier regard, et dans ces bras tendus vers lui il pensait lire un ordre sacré : Prends mon fils, je le le donne ; sois son père 1 Et quand il sortit la nuit pour constater l'étal de la crue ; il lui sembla voir au loin, sur la nappe sombre, une blanche figure et des yeux fixes qui lui adressaient une prière suprême ; il lui sembla en- tendre une douce voix sortant de l'abîme et répétant : Je te l'ai donné... sois son père! L'enfant, qui n'avail pas lardé à s'endormir, se réveilla vers minuit, appela : Maman, et pleura, cela va sans dire. Le capitaine était fort embarrassé ; il eût mieux aimé avoir deux Prussiens à pourfendre qu'un mioche à consoler. Il essaya cependant et réussit ; mais par quels moyens ! Je crois, Dieu me pardonne 1 que ce fut en lui redonnant du vin chaud et en lui racontant les hauts faits de la 32e demi-brigade. De grand matin, il alla chercher du lait et des gâteaux. L'enfant lui sourit en ouvrant les yeux, avec un naïf étonnement, re- demanda, sa mère et finit par manger des gîlteaux. Gauthier le mil debout sur la table, dans la tenue des conscrits au con- seil de révision, l'examina de la tête aux pieds, et le trouvant bien constitué, il se dil : J'en ferai un homme. Alors commença pour le vieux soldat d'Allemagne et d'Italie une existencesinguliere.ilse décida à garderl'enfanl,etseprit à aimer la pauvre créature de Soûles les forces d'un cœur vierge encore d'attachement véritable. Be-aucoup d'officiers arrivent ainsià leurrelrailesans avoir jamais bien connu l'amour nij'a- milié. On parle de la camaraderie, de la fraternité militaire... camaraderie ? oui ; fraternité, amidé ? non... On se rencontre avec plaisir, on se rend de petits services. Qu'un coup de trompette vous sépare, et l'on s'oublie. Et puis, entre gens de grade égal, un petit levain de ja- lousie couve toujours à l'ëtat latent. Une faveur accordée