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HOMÈRE. 139 tant écrit sur ce poète, on l'a tant loué, qu'en pareille ma- tière le lieu commun est a craindre; 1 admiration elle-même, ce qui est plus grave, peut devenir suspecte de banalité et de parti pris. Bossuet disait que « la seule simplicité d'un récit fidèle pouvait soutenir la gloire du prince de Condé. » On peut en dire autant, avec plus de raison encore, pour la gloire d'Homère. Aussi, oubliant, s'il est possible, tout ce que nous avons lu ou entendu sur ce sujet, c'est'par la « seule simplicité d'un récit fidèle, » c'est-à -dire par la lecture naïve qu'il faut sentir et goûter ces immortelles beautés Si Homère est, aussi sublime que l'ont répété à l'envi les anciens et les modernes, nous devons nous en aper- cevoir a notre tour sans avoir tant besoin d'être avertis. Je dis plus : c'est alors que nous l'admirerons d'une manière profitable pour notre esprit, lorsque nous en recevrons une impression vraiment personnelle. La beauté des caractères, la vérité des passions, la grandeur des sentiments et des pensées, la grâce enchanteresse des fictions, la majesté sereine et.la puissance entraînante du style, tous ces genres de mérites si divers qui font de la poésie homérique une in- comparable merveille, nous les sentirons à coup sûr comme tant d'autres les ont sentis, et d'autant plus vivement que nous les aborderons d'une âme plus dégagée de tout préjugé d'éducation ou de routine. Nous n'avons certes pas besoin qu'on nous démontre la beauté d'Eomère; et plût à Dieu que tout fût aussi clair dat:s les questions que se pose notre curiosité sur la personne même du poète, sur l'origine et la forme première de ses chants ! Là est le vrai problème, si débattu de nos jours, et que nous ne saurions éviter. Faut- il croire, comme le croyait l'antiquité, que l'Iliade et l'Odys- sée, sous une forme peu différente de leur forme actuelle, sont l'œuvre d'un seul homme, d'un chantre aveugle, dont le génie a créé a la fois et le genre même de l'épopée, et ses