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MUSIQUE DRAMATIQUE. 489 L'individualité est sacrée ; elle devra revêtir la gravité du caractère philosophique. Dans nos drames actuels, l'indivi- dualité est limitée à chacune des mélodies qui composent le drame et à l'impression des affections isolées qu'on y rencon- tre. Mais l'individualité historique, l'individualité de l'époque que représente le drame, l'individualité des personnages font défaut; il en est de môme de l'élément historique, de la for- mule de l'époque, de la couleur des temps dans lequel se meut le fait représenté, ainsi que du caractère des lieux où la scène se passe. En effet, où est la différence entre la par- tition d'un drame romain et celle d'un drame du moyen- âge? entre les mélodies du paganisme et celles du christia- nisme? Pourquoi cet acteur s'appelle—t—il Pollion et celui-là Roméo? Qui peut saisir et distinguer dans les opéras la Rome républicaine fière, rigide et guerrière où chaque citoyen était grand de toute la grandeur de la patrie , de la Venise voluptueuse, terrible et mystérieuse du moyen-ége, où la vie s'écoulait entre l'amour et la terreur, entre un palais et une prison, entre le soupir de la jeune beauté errant le soir sur les brises de la lagune et le gémissement sourd du noyé dans le canal Orfano? — Et cependant il y a, comme pour la peinture, l'architecture et la poésie, une expression mu- sicale pour chaque époque et pour chaque contrée. Or, pour- quoi ne pas la chercher et ne pas l'étudier dans la poussière des archives et des bibliothèques, et surtout, dans les canti- lènes nationales que la tradition ei les mères conservent si longtemps aux peuples, mais qui à la longue finissent par s'altérer, puisque personne ne se donne la peine de les re- cueillir?— Et une fois que la pensée de l'époque, la concep- tion des temps aurait été saisie, pourquoi ne la traduirait-o pas en notes, après lui avoir donné une expression plus large et plus formelle dans la symphonie qui, à mon sens, devrait