page suivante »
412 CINQ JOURS A DRESDE. maçonnerie. Les étudiants ont une foule d'emblèmes, de coutumes, d'usages qui sont fort intéressants. Ce soir-là je fus initié à toutes ces formules qui n'ont rien de bien terrifiant mais qui sont fort curieuses. Il serait long de les énumérer ici et il suffira de constater que je sortis de la réunion portant sur la tête la petite casquette bleue percée au centre par un coup d'épée, et que je savais l'art de combiner la clé de sol avec la clé de fa, de telle façon que cela forme un V et un P enchevêtrés ( Vivat Paulus). De nombreux toasts furent portés durant cette soirée, mais il en est un que je dois signaler, car il prouve à quel point les jeunes Allemands se préoccupent du mouvement intellectuel en France. Les étudiants ont bu à la santé de celui qui veut que l'on fasse des hommes plutôt que des bacheliers, de celui qui veut que l'ignorance soit pour- suivie comme un crime, de celui qui a décidé que l'ensei- gnement musical ferait partie de l'éducation des écoles, de M. Duruy, en un mot. La nuit était avancée quand nous nous retirâmes , et, fort animés par l'enthousiasme et la bière, nous étions bruyants. La ville avait l'air de nous appartenir, nous ne tenions nul compte des gens paisibles qui dormaient; aussi un veilleur de nuit qui nous entendit à l'autre bout de la rue, s'avança rapidement de notre côté en nous criant de nous taire. Aussitôt les jeunes gens s'assirent en rond, par terre, sur le pavé. L'un d'eux se plaça debout, au milieu, et une canne à la main il fit le simulacre de diriger un chœur. Tous les autres, ouvrant la bouche large et remuant les lèvres, imitaient des chanteurs attentifs, mais aucun son ne sortait de leur poitrine ; c'était un chœur mimé. Le veilleur de nuit tendant l'oreille au milieu de ce grand silence, paraissait fort interloqué. Il n'avait pas un mot à dire, on ne faisait pas le moindre tapage ; mais fort inquiet sur son propre compte, il se demandait, à part lui, si par