page suivante »
306 UNE NOCE. faire entendre, j'allais répondre seulement à tout ce que vous m'aviez dit et revenir, comme vous y reveniez de votre côté, sur les souvenirs de cet hiver. Il faut parler clairement, n'est- ce pas? Eh ! bien, cher Frédéric, mon silence n'avait pas la si- gnification que vous lui aviez donnée; non, je ne me posais pas dans une supériorité imaginaire, non, je n'aspirais pas à une position élevée. Car, y a-t-il jamais une position élevée qui ne soit inférieure à une autre, et alors que signifie un de- gré de plus ou de moins? — Je ne suis donc pas la femme de la lutte contre les autres. Je suis tout au plus une femme qui comprend la lutte contre elle-même, sans se flatter de pou- voir toujours combattre avec fruit. — Vous parlez comme un vieux philosophe ou comme une religieuse. — Non, Frédéric ; mais comme unejeunefilleélevée à l'école de la raison. Vous ne connaissez pas mon père; vous ne savez pas tout ce qui se cache de sagesse dans celte âme simple qui dédaigne de briller. J'ai appris de lui que le seul vrai bien de la vie consiste à se connaître, à s'améliorer et, si l'on peut, à améliorer les autres; aussi n'ai-je jamais compté sur ce qu'on nomme le bonheur comme sur une chose due. Voyez comme le rêve que nous nous faisons de la vie est différent. Ah,Dieu! ne veussemble-t-il pas effrayant que nos deux âmes, si rapprochées encore lout"à l'heure, soient si éloignées, main- tenant qu'elles se sont expliquées l'une à l'autre, quelle dis- tance il peut y avoir même entre deux cœurs qui croient s'aimer, voilà ce qu'il est difficile de pressentir. Frédéric se taisait: Non, dil-il enfin avec force, ce que je sens plus profondément encore que celte dissidence d'opi- nions, c'est mon amour. Si vous m'aimez, Louise , vous com- prendrez qu'un homme jeune ne saurait vivre sans ambition. Quoi! vous blâmez chez moi justement ce qui me fait,don- ner des éloges par tous les gens sérieux ? Vous blâmez ma