Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
[ Revenir aux résultats de la recherche ]
page suivante »
                       CHRONIQUE LOCALE.


   Une épidémie que plusieurs personnes vont jusqu'à regarder comme une
 contagion sévit en ce moment dans notre ville, et paraît même arrivée au-
jourd'hui à son paroxysme d'intensité; elle atteint jeunes et vieux, plutôt
les jeunes ; clic frappe indistinctement toutes les classes ; quelques
vieillards s'en inquiètent, ils avouent n'avoir jamais rien v u d c p a i c i l ;
la population en général en prend son parti ; les médecins n'en disent rien
et l'autorité ferme les yeux.
   Les prodromes en sont singuliers ; ils reviennent régulièrement à la fin
de chaque semaine. Dès le jeudi, on est inquiet,rêveur; le vendredi, l'agi-
tation se dessine et va en augmentant, les nerfs s'irritent ; dans les admi-
nistrations , dans les bureaux l'ouvrage souffre, les distractions font com-
mettre des bévues dont les patrons s'apercevraient s'ils n'étaient eux-mêmes
profondément troubles; le samedi matin, on ne peut plus tenir en place,
on va, on vient; affaires et travaux sont suspendus; on ouvre les tiroirs
sans motifs, on les ferme sans besoin, on fait des petits paquets qu'on n'em-
portera pas , et des gros qui sont inutiles La danse de Saint-Guy et le ta-
rentisme donnent une fiùble idée de ce qu'on ressent. Si dans ce moment
un ami vient vous voir, il est perdu; la contagion s'empare de lui, son Å“il
s'anime, sa respiration est entrecoupée, sa tête s'exalte, la fièvre le prend;
il sort sans dire adieu, monte chez lui quatre à quatre, renverse tout, s'en-
fuit sans crier gare, et bientôt on court les rues ensemble ou séparément
sans qu'aucun sergent de ville ose vous arrêter; il ferait beau voir un
homme à tricorne se porter devant vous pour vous barrer le chemin ! on
est devenu féroce, et on aurait bientôt fait un malheur.
   Sur ces entrefaites, trois heures tintent au beffioi de l'Hôtel-de-Ville ;
alors une vague rumeur retentit dans la cité, l'émotion gagne les habitants,
la foule plus ample se précipite comme quand le Vésuve couvre de ses
cendres les campagnes de Naplos, les cloches sonnent à toute volée sur
nos deux rivières, les locomotives sifflent dans tous les faubourgs, de
lourds omnibus ébranlent le pave et roulent dans toutes les directions ; la
nuit se passe ainsi. Le dimanche il n'y a plus personne, la ville est déserte;
si un tremblement de terre renversait les maisons, du moins on n'aurait la
mort d'aucun citadin à déplorer ; ils ont fui on ne sait où.
   Le lundi on voit rentrer hâtifs, exténués cl rendus ceux que l'épidémie
avait atteints; l'accès est passé, on peut les aborder sans danger, et tous, à
peu près, reviennent, clopin dopant, à leurs occupations journalières; cette
indisposition (on n'en meurt pas ou du moins rarement) s'appelle la Goura-
iomanie, de mania, aliénation d'esprit qui va jusqu'à la fureur, transport,
délire (voir tous les dictionnaires), et de couruter, locution lyonnaise qui
n'est pas encore admise par l'Académie, mais qu'on trouve dans l'ouvrage
savant cl profond de M. Marlin-Rey, dans les Canettes de Jirôme Roquet,
les Contes de Cigoanibus, et dans toutes les bouches entre le Rhône et les
Alpes, ce qui lui donne droit à obtenir ses lettres, non pas do naluralisa-
tion, il est enfant du sol, mais d'admission dans la grande et belle société,
avec ou sans le consentement de l'Académie.
   Pour répondre aux besoins que la Couratomanie impose, une flotte de
bateaux à vapeur vient d'être établie sur nos deux fleuves ; Mouches,
Guêpes, Frelons, Araignées, Aiglons, Parisiens sont en exercice ou cil