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74 UNE NOCE. dent que semble produire le puissant effort par lequel elle ébranle (es lourds wagons après un temps d'arrêt, puis, cette masse pesante mise en mouvemement, le cri affaibli devient une sorte de respiration grondante, pressée, régulièrement, scandée par un course que chaque instant faisait plus rapide. Lorsque le train disparut derrière la courbe que présente la voie ferrée à un demi-kilomètre de Lôontaud, les deux voya- geurs se rencontrèrent ii la porte de sortie, car il est à remar- quer que, séparés pendant tout le parcours en diverses classes qui, dans notre siècle d'argent, indiquent à merveille leurs différentes positions sociales, les voyageurs se trouvent réunis à cette porte où le prolétaire, meurtri aux parois de chêne du wagon des pauvres,a le droit de coudoyer et le douillet touriste pour lequel les compagnies des chemins de fer ne mettent jamais assez de coussins et de tapis, et le voyageur de 2e classe, dont la vanité chatouilleuse se choquerait peut-être plus en- core de ce contact irrespectueux. Par celte disposition géné- ralement adoptée, les architectes des gares se sont montrés philosophes sans le savoir, car ils ont donné là une vive image de la société humaine : des distinctions, des rangs, une hié- rarchie aboutissant à une fin commune. — Vous revenez donc deMâcon, père Fontaine, dit l'em- ployé de la gare, en recevant le billet que lui présentait l'homme aux écheveaux de fil. — Mais oui, et chaudement, car ce joli soleil est bien vif pour un soleil de septembre. — Et puis, vous avez aussi le soleil dans le cœur, n'est-il pas vrai, le vieux? Voire billet, monsieur, s'il vous plaît, interrompit l'employé en s'adressant au second voyageur qui passait en négligeant de remplir cette formalité, distrait qu'il était par le soin de son fusil, de sa valise, et par les bonds désordonnés que faisaient autour de lui ses deux chiens, ivres de leur liberté recouvrée.