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186 PIERRE REVOIL. chef-d'œuvre ou rien ! C'est pour s'épargner la peine de vaincre ces difficultés que l'école régnante a métamorphosé l'art et l'a façonné à sa mesure. Et comment aurait-il pu en être autrement ? Une génération qui en était arrivée à traiter comme on sait ses maîtres en l'art d'écrire, ne pouvait manquer d'en faire autant, à l'égard des maîtres en l'art de peindre; impuissante a les imiter, elle a essayé de les détrô- ner. Delà liberté de dire ce qu'on veut, elle a tout naturelle- ment dû conclure à la liberté de peindre comme on veut. De la la conlemption des maîtres et le mépris de la règle. 11 en est résulté que, pour quelques œuvres empreintes d'un véri- table génie, on s'est vu inondé d'une foule de productions déplorables. En effet, le génie de la liberté, telle que l'en- tendent certaines gens, n'est pas, il faut bien le dire, le génie de l'art, dont la démocratie ne fut jamais l'âge d'or. La peinture est une langue, mais c'est la langue des salons, ce n'est pas la langue de la foule ; le contraire a été dit, je le sais, mais que ne dit-on pas, et quel est le paradoxe qui n'ait eu cours ? On peint bien des chaumières et des scènes popu- laires, mais c'est pour en orner les palais. La peinture est donc en état réel de dégénération. Cher- chez, dans les œuvres du jour, cette manière large, noble et magistrale de la peinture des grands siècles, vous ne la trouverez nulle part, à quelques rares exceptions près. Alors la peinture parlait beaucoup plus à l'âme qu'aux sens, aujour- d'hui elle parle beaucoup plus aux sens qu'a l'âme ; et si quelques peintres, au contraire, vouent leur pinceau à la peinture morale, ils tombent dans l'excès opposé, et se per- dent dans les nuages d'un mysticisme métaphysique qui rend leur pensée inintelligible. Jamais on ne fit plus, mais jamais peut-être aussi on ne fit moins bien. Les bons crûs ne sont pas si fertiles ; la quanlite ne s'obtient qu'aux dépens de la qualité ; c'est une loi de nature. Nos expositions brillent