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36                LE CHATEAU DE CARILLAN.

 incapable de rien faire pour s'en défendre. Léon a dit devant
 vous avec quelle malheureuse persistance il retourne l'arme
dans la blessure, au lieu de l'en arracher par un effort dou-
loureux mais salutaire. Tant qu'il pourra revoir celle qu'il
aime, on ne peut assurer qu'il se réconciliera avec l'existence.
    «Julien avait un compatriote et condisciple, que vous avez
connu sans doute aussi ; il se nommait Gersol. Notre ami lui
avait voué une vive et profonde sympathie , que ce jeune
homme lui rendit sans doute de bonne foi, mais avec beau-
coup moins d'ardeur et surtout de dévouement : il eût été
impossible d'en apporter autant que Julien. Unis étroitement
au collège , les deux amis se suivirent à Paris pour étudier,
l'un en droit, l'autre en médecine. Après avoir vécu quelque
temps ensemble, ils furent bientôt forcés de se séparer; la vie
communequ'ilsavaientadoptée, restant difficilement praticable
avec la variété qui s'accusait dans leurs idées, à ce moment où
celles de chaque homme commencent à se former. Gersol
aimait le luxe et la dissipation. La grandefortune que lui avait
laissée son père, et dont il venait d'entrer en jouissance , lui
donnait le moyen de satisfaire des goûts éclatants, et un en-
traînement naturel à tous les plaisirs.
    «Julien menait une autre existence. La modicité relative de
ses ressources, la crainte de compromettre le nom et la fortune
de son père par des prodigalités, n'était assurément pas !a
seule raison qui le détournait des étourderies assez naturelles
à cet âge: Il avait dès lors au cœur une passion profonde et
sérieuse, qui datait de l'adolescence, etqui lui servait, comme
il le dit lui-même, d'ange gardien dans la vie déjeune homme.
Il n'est pas besoin d'être grand physiologiste, pour savoir
qu'une passion quelconque défend le cœur contre l'invasion
des autres, à peu près comme l'estomac se refuse aux re-
mèdes, quand il est chargé d'aliments.
    « Julien avait été reçu dans la famille de Gersol, composée