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LE CHATEAU DE CAR1LLAN. 35
moi bouleversé , fermai ma porte avec rage et me mis Ã
pleurer.
Je n'avais point encore tari de larmes, quand le piano
se fit entendre. J'entrai, devant ce sarcasme, dans un accès
de fureur. Je fis ma malle et déménageai le soir.
Voilà , mes amis, une véritable passion unilatérale , qui
ébranle les savantes doctrines d'Alfred. Quoi qu'il en soit,
vous savez comment je n'ai aimé personne pour la première
fois de ma vie, qui sera sans doute la dernière.
— Ne blasphème pas! dit Julien , dont plus d'une fois
M. Léon Gérard avait éveillé l'hilarité.
Voyant que notre ami semblait avoir oublié ses soucis, je
donnai carrière a ma curiosité , en lui demandant ce que
c'était que le château de Carillan.
Cette simple question ramena un nuage sur son front.
— Tu me demandes, reprit-il, de renouveler mes douleurs.
Tu as droit de les apprendre de mon amitié, et je te l'ai pro
mis. Aussi bien, nul endroit mieux que ce lieu désert ne con-
viendrait pour conter mes chagrins avec moins d'amertume...
Mais dispense-moi de remplir celte pénible tâche. Mes amis
savent ce douloureux secret ; prie l'un d'eux de te le révéler.
En disant ces mots, Julien se leva e! s'enfonça dans le fourré
qui, de toutes parts, entourait la clairière où nous étions
campés.
M. Pivalle prit la parole et me raconta à peu près ce que
voici :
« L'histoire de Julien, nous dit-il, est d'une effrayante
vérité; elle se rencontre tous les jours : elle est banale. Ce qui
lui donne pourtant une grande importance, c'est qu'il a gardé
pour un amour déçu, comme chacun en a, une fidélité, une
constance, qui se rencontre moins souvent. Ce pauvre Julien a
couru vers son malheur avec un naïf aveuglement, et aujour-
d'hui la passion possède tellement son âme dévouée qu'il est