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LE CHATEAU DE CARIIXAN. 33 saient alors tout bonnement au bûcher. Mais la tienne me semble aujourd'hui même, dans le siècle des lumières, com- plètement inadmissible. Je juge d'après moi, comme chacun peut faire exclusivement, en cette délicate matière. Je n'ai jamais eu qu'une passion, qui n'a été payée d'aucune espèce de réciprocité. Quand j'eus dix-sept ans, mon père m'envoya à Lyon, pour préparer et passer mes examens de baccalauréat. Je me louai une petite chambre dans un hôtel meublé, où je travaillais du malin au soir avec la dernière application. Comme je ne quittais pas la maison, je m'occupais parfois a songer à mes voisins. C'était là ma distraction : il faut bien toujours en avoir une. Au dessus de ma tête un piano se faisait entendre plusieurs heures, matin et soir. Je n'y fis d'abord pas grande attention ; mais un jour, j'entrevis dans l'escalier do la maison une capeline de voyage, qui semblait cacher une jeune figure. Cette capeline, car je ne vis rien autre, montait à l'étage supérieur. Je ne doutai pas un instant que je ne vinsse de rencontrer l'artiste qui charmait à la fois ses loisirs et mon travail. Dès lors, j'écoutai avec une religieuse attention les sons que me transmettait l'écho de mon plafond. Je ne pus m'em- pêcher de remarquer que ces accords étaient toujours un peu les mêmes; mais j'avais alors déjà la pensée que les arts tolèrent la médiocrité ; religion de chanté et de consolation qui m'a permis de me vouer à la peinture. J'attachai bientôt à ma jeune pianiste un très-vif intérêt. Quand j'entendais son jeu mélancolique, je me sentais plein d'ardeur au travail, dans lequel elle me berçait doucement. Je croyais reconnaître dans ses accords le langage de senti- ments vagues et indéfinis, peut-être même personnels. Mon imagination, en s'éveillant, parait cet idéal de toutes les per- fections ; je faisais, le jour, des châteaux en Espagne, et la 3