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CHRONIQUE LOCALE. On raconte qu'un jeune prince voyant une foule immense massée dans le jardin des Tuileries, s'écria dans la simplicité de son âme : Il faut que le roi soit bien bon pour nourrir tout ce monde-là . Les uns ont ri de cette naïveté ; d'autres en ont déduit que les princes recevaient parfois une assez mauvaise éducation. Héias ! les princes ne sont pas seuls à refléter les idées fausses que des flatteurs leur donnent, et nous trouvons souvent dans les journaux de Paris des joyeusetés qui donnent ample matière aux provinciaux d'éclater de rire ou de se pincer les lèvres suivant le plus ou moins de sang gaulois qui coule dans leurs veines. Nous ne voulons pas parler de l'Artiste, qui espérait bien apprendre que la venue du nouveau directeur de notre École donnerait enfin aux Lyonnais le goût dans les arts et l'amour du beau, qui manquent si complètement à la patrie des Boissieu , des Lcmot et des Saint-Jean, ni de M. Mérimée, qui, dans la séance du Sénat du 4 mars, c'était hier, proclamait la province bien heureuse d'être éclairée dans sa barbarie ( ! ) par les civilisateurs pa- risiens. Il est question d'une autre idée poussée dernièrement dans le cer- veau d'un écrivain connu, et recueillie par une des Revues les plus ré- pandues de la presse parisienne. — Croiriez-vous , Monsieur , c'est notre auteur qui parle, que je viens défaire un voyage en province, et que dans les plus petites villes j'ai trouve un musée, et parfois un conservateur ! Chose ridicule, il y a un musée à Saint-Germain-en-Layc , il y en a un à Carpentras cl un à Bruyère, gros bourg perdu dans les forêts des Vosges ! Il est vrai que ces musées se composent, en général, de quelques pétrifica- tions, d'une caisse de coquillages et d'un crocodile empaillé ; mais ce qu'il y a de trietc, c'est qu'on y trouve fréquemment des toiles, de bonnes toiles venues là de quelque pillage de couvent ou de legs faits par quelque riche enfant de la cité tout glorieux de laisser un souvenir à sa ville natale. N'est- ce pas un abus auquel il faut mettre fin ? Car de quel droit des œuvres de prix seraient-elles ainsi enfouies loin du Louvre, de Versailles ou du Luxem- bourg? Peut-on faire le voyage exprès pour visiter un tableau égaré loin de Paris ? et tout à fait sans profit pour personne , Paris recevant , hébergeant nourrissant tous les provinciaux qui ont la moindre vocation pour les arts. Ainsi, un écrivain sérieux propose d'enlever les bons tableaux inutile- ment perdus dans le fond de la province. Un autre proposera sans doute la même opération pour les bibliothèques, tout à fait sans usage et sans but hors de Paris, les hommes de lettres n'ayant pas la coutume de rester en province pour chanter dans le nid paternel quand les ailes leur ont poussé. En attendant et sans beaucoup se préoccuper de ces projets, nos écri- vains se jettent avec ardeur dans toutes les voies de la littérature, et l'on dirait que c'est par une espèce de protestation contre l'absorption de la capitale, que dans ce moment M. Onofrio fait l'histoire du patois lyonnais, que M. Pierre Gras publie un Dictionnaire du patois forézien, et que le Père Froment édite un charmant volume de Fables en patois bugésien. A qui visite les belles toiles de notre Exposition, à qui assistait, l'autre jour au concert de George Hainl, à qui suit les travaux de nos écrivains, il est bien permis de rire de ceux qui pensent que le monde civilisé com- mence à Montmartre et finit à Vaugirard. A. V. Aimé VINGTRINIER, directeur-gérant.